Novembre et le «frette» sont revenus

frette, novembre
Les arbres s'habillent pour l'hiver. Photo: Nathalie Prézeau
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Publié 13/11/2012 par Martin Francoeur

Ça y est. Nous sommes entrés de plain-pied dans le mois le plus moche de l’année. Novembre, mois des morts, mois du gris, du brun, du changement d’heure qui raccourcit nos journées et nous plonge dans l’obscurité bien avant 17 heures. Novembre et les premières températures en bas de zéro…

C’est curieux comme nos états d’âme par rapport aux conditions climatiques peuvent se traduire dans notre langage. On n’a pas le choix. De tous temps, la météo a été un sujet de conversation par excellence.

Et quand arrivent les températures qui font descendre le mercure sous zéro, plusieurs ne se gênent pas pour contourner les règles du bon parler et emploient allègrement le mot «frette».

Devenu un superlatif

Au Québec et ailleurs dans le Canada francophone, le mot «frette» est en quelque sorte devenu un superlatif du mot «froid».

Évidemment, on ne trouvera pas ce mot dans les dictionnaires officiels. Le mot demeure un fait propre au parler populaire. Mais d’où vient cette originale transformation du mot «froid»?

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Le Dictionnaire historique de la langue française, de Robert, qu’on peut trouver une explication à peu près logique à l’emploi de l’adjectif «frette» dans la langue populaire.

Quand on regarde sous le mot «froid», on nous apprend que cet adjectif et nom masculin s’est d’abord écrit, au XIIe siècle, «froit» et «froide» au féminin.

Le «d» final n’a remplacé le «t» que vers le XIVe siècle. Ces graphies bien françaises seraient la réfection des formes «freit» et «freide» issues du latin classique «frigidus», qui signifie justement «froid».

Un t qui a perduré

La forme «freit» nous fait remonter le temps jusqu’au onzième siècle. Il est difficile de croire que la prononciation d’un «t» final a survécu pendant presque un millénaire, tandis que sa forme écrite était modifiée de sorte qu’on évitait une prononciation de consonne à la fin du mot.

Certains auteurs croient cependant que le mot est demeuré présent dans les langues provinciales et dans le langage des paysans, ce qui expliquerait peut-être sa longévité.

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Et qui expliquerait aussi comment le mot ainsi prononcé a pu voyager, nos premiers colons étant des provinciaux.

Fret ou frette

De nos jours, certains auteurs utilisent l’adjectif et le nom «frette» dans des formes populaires. Certains l’écrivent tout simplement «fret», tandis que d’autres jugent qu’on insiste davantage sur la sonorité finale si on ajoute la syllabe «-te» pour donner «frette».

Étonnamment, le mot «frette» s’emploie familièrement dans la plupart des expressions contenant le mot «froid». Aussi dira-t-on: «il n’a pas frette aux yeux», «il y a un frette entre elle et lui», «démarrer un moteur à frette», «tu vas manger frette», «il va péter au frette»…

Dans le Dictionnaire québécois-français de Lionel Meney, publié aux éditions Guérin, on nous donne même l’exemple d’un auteur, Gilles Charest, qui écrit: «Au Québec, il fait tantôt frais, froid, fret et fret en tabarnak. À chaque mot, nous perdons quelques degrés de chaleur.»

L’image est quelque peu vulgaire, mais quand on y pense froidement, elle est assez juste…

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Michel Tremblay et Gabrielle Roy

On nous cite aussi Michel Tremblay, qui a déjà fait dire à un de ses personnages: «J’vas y mettre une débarbouillette d’eau frette sur le front.»

Même Gabrielle Roy a préféré «frette» à «froid»: «Ferme la porte comme il faut; tu t’es pas aperçu qu’il faisait frette dehors», fait-elle dire à un de ses personnages.

On remarque évidemment que le mot «frette» n’est employé à l’écrit que dans des reproductions de formes verbales, dans des répliques, des dialogues. On ne se permettrait pas un tel emploi dans une forme narrative.

Fret, net, sec

L’emploi de «frette» a même donné naissance à une expression populaire qui n’existe pas si on emploie la forme correcte (froid). Il s’agit de l’expression «fret, net, sec», que l’on emploie au sens de «brusquement» ou «tout d’un coup».

Michel Tremblay a déjà écrit: «C’est la dernière fois qu’a met les pieds icitte! M’as la sacrer dehors frette, net, sec». L’ordre de ces adjectifs employés adverbialement est parfois inversé, comme on le remarque.

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Le mot «froid» n’est pas le seul du vocabulaire français auquel on attribue une sonorité finale en «t» prononcé. On n’a qu’à penser à l’emploi de «icitte» au lieu de «ici», de «litte» au lieu de «lit», ou même de «fossette» au lieu de «fossé».

Certains appellent ça tout simplement un «t» ancestral», faisant ainsi vaguement référence aux traces d’ancien français qui subsistent peut-être dans de telles prononciations.

Chose certaine, puisque nous ne sommes qu’en novembre, on n’a pas fini d’avoir frette. Il nous reste décembre, janvier, février et mars pour non seulement utiliser le mot, mais faire ce qui vient avec, y compris grelotter, renifler, moucher, frissonner…

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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