Mémoires d’un Autochtone

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Publié 25/05/2010 par Gabriel Racle

Il est bien rare d’avoir l’occasion de lire le récit de la vie d’un Autochtone et de la façon dont il réagit à la colonisation par les «Euricanadiens» de la contrée dans laquelle il vit. C’est assez dire tout l’intérêt des mémoires d’un Inuk que nous présente, avec beaucoup de discrétion, Thibault Martin, professeur de sociologie à l’Université du Québec en Outaouais.

Un Inuk parle

Le professeur Martin, qui a travaillé avec son auteur à la mise au point du texte d’Eddy Weetaltuk, un Inuk «né dans la neige alors que ma mère coupait du bois pour tenir sa famille au chaud», en a assuré non sans difficulté la publication: aucun éditeur canadien n’a voulu le faire et c’est, paradoxalement, un éditeur français qui a publié l’ouvrage: Eddy Weetaltuk, E9-422, Paris, carnetsnord, 2009, 386 p.

Le récit que nous fait Eddy Weetaltuk n’est pas banal et se lit comme un roman, plus que comme une biographie, étant donné le style et les détails, amusants ou significatifs, parfois épiques ou surprenants, d’un Inuk qui passe «de la toundra à la guerre de Corée», comme l’indique le sous-titre, et rentre chez lui après un passage en Allemagne, non dépourvu de la cocasserie d’un amoureux emprisonné.

Mais les 300 pages du texte d’Eddy Weetaltuk vont bien au-delà d’un simple récit des épisodes marquants de la vie hors du commun d’un Inuk, ce qui n’est déjà pas dépourvu d’intérêt, bien au contraire, et il faut en réserver les surprises au lecteur, plutôt que d’en faire un résumé qui serait forcément dépourvu du sel souvent humoristique que l’auteur y a mis. Mais les mémoires d’Eddy Weetaltuk nous donnent un aperçu du revers de la médaille de la colonisation.

Un texte novateur

Avec beaucoup de discrétion, le professeur Martin, qui a grandement contribué à la publication de ce livre original, s’est effacé devant Eddy Weetaltuk et n’intervient qu’à la page 313. Mais son apport est essentiel à la bonne compréhension du texte, et le lecteur soucieux de bien saisir certaines remarques d’Eddy, devrait commencer par lire ce chapitre intitulé «Histoire d’un témoignage».

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«Le texte d’Eddy Weetaltuk est, à bien des égards, novateur. D’abord parce qu’il offre une interprétation inuit de l’histoire et pose un regard non occidental sur l’expérience coloniale canadienne dans le Grand Nord, mais aussi sur le monde en général.» (p. 328)

Comme le fait remarquer Th. Martin, malgré la colonisation, ses contraintes, ses iniquités, il ressort des propos d’Eddy Weetaltuk que les Inuit ont toujours voulu assurer eux-mêmes leur destin personnel.

Mais la réflexion d’Eddy Weetaltuk déborde du cadre inuit. «Ce qui l’intéresse, c’est l’Homme dans son univers tout entier, qu’il soit au Nord, au Sud, en famille, au champ de bataille ou bien en prison. Lui qui parlait cinq langues, et avait ainsi acquis cette capacité unique d’appréhender le monde à travers différents prismes, se posait de nombreuses questions sur la nature humaine et sur la valeur des idéaux à prétention universelle.» (p. 329)

Un livre d’un grand intérêt

La combinaison de l’histoire contée par Eddy Weetaltuk et des deux chapitres complémentaire de Thibault Martin fait de cet ouvrage un document d’un grand intérêt.

D’abord parce qu’il est rare qu’un autochtone s’exprime ainsi sur sa vie et nous fasse part de ses réflexions, depuis sa catégorisation comme E9-422, E pour Esquimau, 9 pour sa communauté, 422 pour son classement, une plaque d’identité que le gouvernement canadien imposait de porter toujours, jusqu’à la liberté qu’il a su se donner à lui-même et dont il nous fait part.

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Mais ensuite, parce que c’est une page méconnue de notre histoire qui se déroule au fil du récit, celle d’un comportement colonisateur que l’on découvre souvent, car nous le connaissons mal, quand on ne l’ignore pas totalement.

Et de ce point de vue, la lecture de ce livre, sinon son étude, devrait faire partie des programmes d’histoire du Canada, pour mieux saisir les valeurs tout autant que les revendications des populations du Grand Nord canadien, alors que cette région retient de plus en plus l’attention, avec l’évolution des conditions climatiques et leurs répercussions sur le mode de vie de ses habitants, tant autant que sur l’importance de leur présence.

«J’espère que mon histoire aidera les jeunes à trouver l’inspiration et la force de conserver leur culture, c’est la seule façon de ne pas perdre son âme», écrit Eddy en conclusion de son histoire (p. 311).

Mais il faut aussi que les «Eurocanadiens», comme les nomme Th. Martin, les comprennent et les écoutent. Et précisément, «ce livre, qu’Eddy Weetaltuk nous a offert, représente une occasion rare de cesser de raconter, en leur nom, l’histoire des Autochtones, pour leur laisser enfin la parole.»

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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