Lutte au paludisme: une promesse venue du Grand Nord

La molécule mortiamide attaque le parasite (au centre), mais pas les globules rouges. Illustration Massouh Biomedia, Normand Voyer.
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Publié 17/09/2019 par Isabelle Burgun

Le Grand Nord a encore beaucoup à nous apprendre. Il possède une biodiversité unique dont pourraient même être extraites des molécules susceptibles de nous soigner… ou de soigner des populations lointaines, selon une récente découverte.

L’équipe du chimiste Normand Voyer, de l’Université Laval à Québec, a en effet mis à jour de possibles propriétés antipaludiques dans des molécules des eaux froides de la baie de Frobisher, au Nuvavut.

Et l’une des quatre molécules issues de ce champignon microscopique du genre Mortierella s’avère particulièrement prometteuse. «L’incroyable, c’est qu’une molécule du Nord pourrait aider à soigner une des pires maladies du Sud», la malaria, ou paludisme, relève le chercheur.

Piqûres mortelles

Certains moustiques des régions chaudes (les anophèles femelles) transmettent par piqûre à l’homme un parasite, du genre plasmodium. C’est ce parasite qui entraîne le paludisme.

Cette maladie infectieuse se caractérise par des symptômes voisins de la grippe: fortes fièvres, douleurs musculaires, affaiblissement, fatigue.

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Mais les conséquences peuvent être beaucoup plus graves: anémie, œdème pulmonaire, détresse respiratoire, jusqu’au décès pour les nourrissons et les jeunes enfants, les malades et les personnes avec un système immunitaire affaibli.

Le moustique (Anopheles gambiae) porteur du parasite causant le paludisme.

Attaquer le parasite

En laboratoire, les quatre molécules (mortiamide A, B, C et D) ont été testées sur différentes souches. Résultat: la mortiamide D a réussi à éliminer le parasite Plasmodium falciparum des globules rouges, in vitro, en 72 heures.

Il ne s’agit que d’une première étape: l’identification d’une molécule prometteuse. «Il nous faut comprendre son mode de fonctionnement et quelles sont les enzymes qu’elle affecte. Nous sommes encore loin d’un médicament», convient le chercheur.

Milieu de vie extrême

Le Nunavut constitue un milieu de vie haut en stress avec son alternance de six mois de froid glacial et d’obscurité et de six mois d’intense rayonnement UV. Ce qui explique que les organismes indigènes se parent de moyens de défense performants pour assurer leur survie.

Si un champignon nordique possède de telles molécules, plus toxiques pour les parasites, c’est qu’il s’agit d’une défense chimique — la même stratégie de protection que le piment jalapeño avec ses molécules au goût piquant (capsaïcines) afin de ne pas être mangé.

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À côté des prospections minières dorment donc des richesses naturelles, terrestres et marines. «Mon rêve serait de préserver la chimio-diversité du Grand Nord», poursuit le Pr Voyer.

Les régions du monde les plus affectées par le paludisme.

Des ravages en Afrique et en Asie

Malgré un recul des cas de paludisme dans le monde depuis près de 20 ans, cette maladie infectieuse stagne: on a compté 219 millions de cas en 2017.

Elle fait encore des ravages en Asie, en Amérique centrale et du Sud et surtout en Afrique, où près de 90% des décès surviennent — l’OMS en dénombrait 435 000 en 2017, majoritairement de jeunes enfants.

La lutte prend de nombreuses voies: insecticides, moustiquaires imprégnées d’insecticides, assèchement de milieux humides… Avec une certaine efficacité, mais sans parvenir à éliminer l’ennemi.

«Nous avons fait beaucoup de progrès, mais il faut plus d’efforts pour éradiquer les moustiques porteurs du parasite», déclare le professeur adjoint du département de Médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Thomas Druetz.

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Résistances aux traitements actuels

Le traitement actuel contre le paludisme — un dérivé de l’artémisinine qui provient d’une plante de Chine, l’Artemisia annua, donné en première ligne — connaît lui aussi des résistances. Même combiné avec d’autres traitements antipaludiques, il perd du terrain face au parasite.

«Les résistances que nous constatons pour les traitements actuels montrent que nous avons besoin de nouvelles molécules. La publication du Pr Voyer est intéressante, mais est à un stade très préliminaire; on ignore encore l’efficacité de cette molécule chez l’homme», relève encore le chercheur.

L’armoise annuelle (Artemisia annua) dont est extraite une molécule utile dans le traitement du paludisme. Photo: Jósef Hamar

Pour sa part, le Pr Druetz étudie l’efficacité de médicaments de prévention face au paludisme saisonnier.

Sa récente étude, auprès d’enfants du Mali, montre que cette stratégie diminue de 44% le risque d’un diagnostic positif, mais aussi décroît le risque d’anémie modérée et sévère chez les enfants.

Près de 12 millions de très jeunes enfants d’une douzaine de pays africains ont reçu ce type de traitement préventif.

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La pharmacopée du Nord

À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, le chercheur et directeur de l’École d’études autochtones, Hugo Asselin, a élaboré un répertoire de 546 taxons végétaux utilisés par les peuples autochtones de la forêt boréale canadienne. Le sureau, l’achilée, le thuya et bien d’autres plantes: un savoir qu’il importe de préserver.

Mais ces plantes intéressent aussi les industries pharmaceutique et cosmétique sans que les premiers peuples en tirent des redevances ou une forme de compensation.

«Qui bénéficie de cette pharmacopée du Nord? Lorsqu’on fait des recherches et des produits à partir des ressources utilisées par les communautés, sans les associer, j’y vois un glissement vers une appropriation d’une richesse naturelle et je me questionne sur la dimension éthique», relève l’ethnobotaniste de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal, Alain Cuerrier.

Partage avec les Autochtones

Il juge que les travaux du Pr Voyer sont ainsi dans une zone grise, parce que le Canada n’a pas ratifié le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et leur partage équitable.

Les chercheurs n’ont pas de droits acquis sur les ressources et les savoirs locaux et les recherches devraient bénéficier aussi à ceux qui y vivent, d’une manière ou d’une autre. «Il s’agit du territoire Inuit et les chercheurs ont un devoir de transparence et de consultation des communautés qui y vivent. C’est dommage que les autochtones n’aient pas été mêlés à ça ni les autorités autochtones consultées», relève encore le Pr Cuerrier.

Auteur

  • Isabelle Burgun

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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