L’exercice de style de David Ménard

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Publié 24/05/2011 par Paul-François Sylvestre

Le Franco-Ontarien David Ménard a décroché sa maîtrise en lettres françaises à l’Université d’Ottawa en 2008. Sa thèse intitulée Sarcophages mon amour, nous aurons vécu nous non plus suivi de L’analyse du vide postmoderne constitue les prémices de son premier roman: Nous aurons vécu nous non plus.Très court (80 pages), ce roman est avant tout un exercice de style.

Jetant leurs mots sur le papier comme des bouteilles à la mer, les trois personnages qui composent ce roman épistolaire sont des mal-aimés, mal qui se concentre sur leurs désirs et leurs douleurs. Chacun monologue dans sa zone de sensibilité aiguë, la tête qui tire à hue et le corps à dia.

Pendant ce temps, nous assistons à la lente chute dans le vide d’Ovide-Lyre, exilé dans l’Est de l’Ontario où il cuve son amour à sens unique pour Honey-Comble, chantre gai des villes de nuit. Il puise sa seule consolation dans les lettres de sa meilleure amie Vava-Cuitée.

David Ménard a créé des personnages qui sont les dignes représentants d’une génération désenchantée. Ils incarnent ces êtres charnels dépositaires d’un mal de vivre sans exutoire, si ce n’est celui des bars, de l’alcool et des baises entre partenaires indifférents.

Après avoir décrit la chorégraphie typique qui prévaut dans les bars gais, où les «corps se heurtent constamment les uns contre les autres sans jamais vivre cependant la grande collision à deux», l’auteur note que les bars constituent l’anagramme du mot bras et «qu’ils peuvent donc attraper, pétrir ou rompre quiconque à souhait».

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Tel que mentionné plus tôt, ce roman est issu d’une thèse de maîtrise. Pas surprenant, donc, que «les mots déforment et réinventent tout à leur façon». Il y a de belles trouvailles ou tournures littéraires. L’auteur joue sur les mots, notamment sur le prénom Ovide: «Le vide est un mal qui prend bien de la place.» Il accouche de formules originales: «Nous nous serions lavés des jours durant que notre union n’aurait jamais su retrouver son amour-propre.»

Nous aurons vécu nous non plus est un roman qui décortique l’amour sous toutes ses coutures: élancement, tourments, folies, égarements, privation, cauchemar, etc.

Dans une lettre Honey-Comble adresse à Vi-vide, David Ménard rend à merveille l’univers du vide amoureux en ce début de millénaire nord-américain: «Je ne sais pas trouver l’amour. Je ne sais que le chercher. Je sais aussi le consommer. Et s’il se brise, on n’a qu’à courir le nulle part urbain pour le remplacer.»

Il n’y a pas de doute que ce nouvel auteur franco-ontarien jouit d’une langue forte, folle et sans compromis. Son premier roman m’a cependant semblé se loger au niveau d’un exercice de style plutôt qu’à l’enseigne d’une création purement littéraire.

À titre d’exemple, il y a un chapitre où toutes les phrases sont des questions, à deux exceptions près. Dans un autre chapitre, presque tous les paragraphes sont une phrase qui commence par «il y en a un qui…», «il y a aussi l’autre qui…», «il y a toujours l’autre qui…», «il y a encore un qui…», etc.

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Comme le dit l’éditeur, en quatrième de couverture, «Ménard nous offre une langue à la fois poétique et crue, cousue sur la paillette du soir, figurant les étoiles qui vont bientôt tomber dans la gadoue.»

David Ménard, Nous aurons vécu nous non plus, roman, Ottawa. Éditions L’Interligne, coll. Vertiges, 2011, 80 pages, 13,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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