L’Est du Canada, terre éphémère des Vikings

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Peinture de Christian Krogh de 1893 représentant Leif Eriksson «découvrant» l’Amérique. Photo: Galerie nationale de Norvège, Wikimedia Commons, domaine public
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Publié 02/06/2024 par Marc Poirier

Pendant plusieurs centaines d’années, on a qualifié Christophe Colomb de «découvreur» de l’Amérique. Découvreur européen, on s’entend. Mais même ce titre ne tient plus. Les pêcheurs basques seraient, selon certains, venus bien avant lui, mais bien après un autre groupe: les mythiques Vikings.

Même les mots «découvreur» et «découverte» sont de plus en plus à proscrire quand on parle de l’Amérique, car le continent a été évidemment «découvert» par les peuples venus d’Asie il y a 30 000 ans, et même, selon certains scientifiques, il y a jusqu’à 130 000 ans.

L’aventure des Vikings en Amérique du Nord est maintenant une certitude, même s’il reste encore beaucoup de questions en suspens à ce sujet. Au départ, les «preuves» de leur passage reposaient uniquement sur deux textes médiévaux islandais: La Saga d’Erik le Rouge et la Saga des Groenlandais.

Depuis l’Islande

C’est en Islande que toute cette histoire commence. Cette île du nord de l’océan Atlantique (son nom signifie «pays de glace») est inhabitée lorsque les Vikings venus de Norvège la colonisent vers le milieu du IXe siècle. Ils en font la base d’autres explorations vers l’Ouest.

Les grands héros de ces anciens récits sont bien connus: Érik le Rouge (Eirik Thorvaldson de son vrai nom), et son fils, Leif Eriksson (Leifr Eiríksson). Leur périple n’est pas volontaire.

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En effet, le père d’Érik le Rouge, Thorvald, est banni de Norvège pendant trois ans pour avoir commis un meurtre. Vers 960-970, il s’exile avec sa famille – dont son fils Érik – en Islande, où se sont déjà installés plusieurs Norvégiens/Vikings.

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Détail d’une tapisserie à Bayeux: navire viking voguant avec des chevaux. Photo: Bibliothèque et Archives Canada/C-021386, domaine public

Érik le Rouge banni

Vers l’an 980, Érik le Rouge est aussi accusé de meurtre, à la suite d’une bataille entre voisins. À son tour, il est banni et doit quitter l’Islande.

Mais où aller? Un retour en Norvège pourrait être risqué en raison du bannissement de son père. Il avait cependant déjà entendu parler d’une grande terre à l’Ouest, aperçu 50 ans auparavant par un autre explorateur norvégien, Gunnbjörn Ulfsson.

Érik le Rouge part ainsi avec une poignée de compagnons et explore pendant ses trois ans d’exil cette terre, une île qu’il nomme «Groenland» (terre verte). À l’époque, le climat y était plus clément qu’aujourd’hui.

À son retour en Islande, il prépare une vaste colonisation du Groenland. Il y retourne en 986 avec une trentaine de drakkars transportant jusqu’à 600 hommes, femmes et enfants. Cependant, seulement 14 navires arriveront à destination, les autres ayant sombré ou ayant fait demi-tour.

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C’est alors qu’entre en scène un personnage beaucoup moins connu qu’Érik et son fils Leif, mais crucial pour cette épopée: Bjarni Herjólfsson.

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Représentation de Vikings et d’Autochtones américains dans un établissement norvégien sur le continent américain. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Le «découvreur»

Bjarni Herjólfsson est un jeune aventurier toujours en mouvement. La Saga des Groenlandais raconte qu’à l’été 986, Herjólfsson part d’Islande pour rejoindre son père parti au Groenland avec l’expédition d’Érik le Rouge. Mais une tempête l’écarte de sa route pendant plusieurs jours.

Lorsque le calme revient, il aperçoit une terre boisée et vallonnée qui ne correspond pas à la description qu’on lui avait faite du Groenland.

Il met alors le cap vers le Nord. Le paysage devient plat, puis montagneux et recouvert de glaces. Toujours convaincu qu’il n’est pas arrivé à son but, Herjólfsson poursuit sa route et atteint le Groenland quatre jours plus tard.

La plupart des experts considèrent que Bjarni Herjólfsson est le premier Européen à avoir «aperçu» l’Amérique. Mais il n’y a pas mis les pieds. Cette distinction reviendra à son compatriote, beaucoup plus connu: Leif Eriksson.

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Représentation de Leif Eriksson sur le rivage de Vinland. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Leif Eriksson, le Neil Armstrong norvégien

Les anciens récits racontent que Leif Eriksson serait devenu chrétien lorsque le roi Olav de Norvège s’est converti vers 995. Il serait parti de Norvège avec un prêtre pour se rendre au Groenland afin d’évangéliser la nouvelle colonie.

Selon La Saga de Groenlandais, Eriksson s’inspire du voyage de Bjarni Herjólfsson pour refaire son parcours, mais en sens inverse.

Parti en l’an 1000 avec environ 35 hommes, il aperçoit d’abord des terres glacées, qu’il nomme Helluland (pays de dalles), qu’on croit être la terre de Baffin, puis une région de roches hautes et plates, à laquelle il donne le nom de Markland (pays de bois), et qui serait le Labrador.

Enfin, il rencontre une autre terre où, avec ses compagnons, il construit des habitations pour passer l’hiver. Leif Eriksson nomme cette contrée Vinland (pays du vin), en raison de la présence de vignes.

Au printemps, il repart vers le Groenland et ne reviendra plus dans ces terres nouvelles, pour ne pas dire ces terres… neuves.

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Première page de La Saga d’Erik le Rouge. Photo: Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4.0 International

D’autres colonies éphémères

Quelques années plus tard, l’un des frères de Leif, Thorvald, mène une nouvelle expédition à Vinland où il passera deux ans avec son groupe avant de mourir lors d’un conflit avec les Autochtones.

Après une tentative d’établissement avortée d’un troisième frère l’année suivante, un autre explorateur, Thorfinn Karlsefni, établit à Vinland une nouvelle colonie qui prendra fin après trois ans en raison de l’animosité des Autochtones.

Mais où est Vinland? Plus de 1000 ans plus tard, les paris sont toujours ouverts. La réponse logique serait L’Anse aux Meadows, sur la pointe nord de l’île de Terre-Neuve, où des vestiges d’un établissement scandinave ont été attestés.

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Le site du parc national de L’Anse aux Meadows, sur la pointe nord de Terre-Neuve. Photo: Wikimedia Commons, Attribution 2.0 générique

Jusqu’en 2021, les dates de cette présence de Vikings sur l’île de Terre-Neuve étaient restées imprécises. De nouvelles méthodes de datation ont permis de déterminer que les morceaux de bois utilisés pour la construction des bâtiments provenaient d’arbres abattus en 1021, soit une vingtaine d’années après le parcours de Leif Eriksson.

Mais on ne croit pas que Vinland se trouvait à ce qui est aujourd’hui L’Anse aux Meadows. On pense généralement qu’il se situerait plus près du golfe du Saint-Laurent, peut-être en Nouvelle-Écosse ou même sur la côte Est du Nouveau-Brunswick. Un autre mystère à résoudre.

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Mais on a la certitude que les Vikings ont été les premiers Européens à fouler le sol de l’Amérique. Alors, la prochaine fois qu’on nous ramène l’année 1492 comme étant la «découverte» de l’Amérique, pensons un peu à 986 quand même…

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