Les sentinelles du Pacifique

île de Pâques
Coucher de soleil sur les Moaï de l'île de Pâques. Photo: Aurélie Resch
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Publié 02/08/2016 par Aurélie Resch

J’ai 4 ans. Je regarde fixement la bougie que je viens de démouler avec ma mère. Elle a un faciès impressionnant. Un visage tout en longueur, le nez plongeant, les traits dénués d’expression. «On trouve ces statues de visages dans une île très loin, perdue au milieu du Pacifique. L’île de Pâques.» Je n’ai pas allumé cette bougie. Je l’ai regardée. Encore et encore.

40 ans après, je fixe les Moaï épars devant moi, sur «le nombril du Pacifique». Rapa Nui pour les natifs, l’Île de Pâques pour les Occidentaux. Un caillou à quelque 3 700 km des côtes chiliennes et 4 000km de Tahiti. Austères, ces visages de pierre semblent regarder au-delà, vers les âmes qu’ils sont censés protéger.

«Tu sais, ici c’est une île de mystères et de légendes. Il n’y a aucune certitude. Que des théories», me dit Tavi, mon guide Rapanui chez Explora.

Ça me va. Nous parcourons la lande en bord de mer depuis deux bonnes heures après avoir quitté la carrière aux Moaï, sur les flancs du volcan Rano Raraku.

Tavi m’a expliqué que ces statues à la tête surdimensionnée ont été sculptées ici dans le tuf volcanique, puis transportées et érigées dos à la mer, face au village où vivaient de preux guerriers ou des seigneurs, en leur honneur. Pour accompagner leur âme et protéger les leurs.

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Probablement apparus entre 1 250 et 1 500 ans apr. J.-C., ces colosses, pesant jusqu’à 14 tonnes et mesurant jusqu’à 9m de haut, font jaser et couler beaucoup d’encre.

On se demande comment les indigènes ont pu les transporter aussi loin et les dresser sur des plateformes, «Ahus», elles-mêmes constituées de blocs de pierre monumentaux. En utilisant la sève de plantes qui ont aujourd’hui disparu de l’île pour huiler des cordages et faire ainsi glisser les statues? En se servant d’un savant mélange de cordes et de rails en bois et en réunissant beaucoup d’hommes pour traverser l’île? En les faisant rouler? Le saura-t-on jamais?

J’aime les questions. Les incertitudes ne me dérangent pas. Je m’attache à la poésie.

À ces Moai dressés en série. À ceux échus, déchus dans l’herbe haute. Ceux isolés dans les plaines de l’île, à moitié ensevelis, ébréchés ou couchés sur le côté. Ils m’interpellent avec leurs orbites creuses, leurs traits allongés. Leur silence. « Ils devaient être parfaits pour représenter leurs vénérables chefs. Tout Moai fissuré ou ayant touché le sol en cours de transport ne pouvait être hissé sur un ahu».

Mauvaises manœuvres, guerres claniques, tempêtes… Les raisons d’abandon et de dispersion de Moaï à travers l’île sont nombreuses. Il reste étonnant (et véritablement émouvant) de les frôler en se baladant ou d’observer les chevaux et les vaches paître entre ces visages énigmatiques.

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Tavi, dont le père continue aujourd’hui de sculpter des Moai, regarde la terre autour de lui, m’invite à lire un hiéroglyphe sur une roche. Il me parlait de légendes, de dieux, de forces et d’oiseaux-divinités. En voici représentés sur la pierre. Il y a là la tortue et l’oiseau sacré (un paille-en-queue) dont il faut ramener un œuf au dieu Make Make pour devenir un chef valeureux et respecté.

Lili, autre guide locale travaillant pour Explora, m’entraîne dans l’ascension du deuxième volcan de Rapa Nui, le Rano Kau. Une randonnée formidable qui nous conduit aux bords du cratère renfermant un grand lac d’eau douce.

Nous le contournant en jouissant de la vue sur l’océan et les vertes pentes sous une lumière changeante. Arrivées de l’autre côté, Lili me montre une petite île à une certaine distance des falaises acérées.

C’est d’ici que les plongeurs s’élançaient une fois par an pour aller nager jusqu’à elle et récupérer l’œuf du paille-en-queue à offrir à Make Make. S’ils ne se rompaient pas le cou en plongeant, qu’ils ne se noyaient pas ou ne se faisaient pas dévorer par les requins, les preux participants devaient ensuite gravir à nouveau la falaise abrupte sans casser l’œuf et être le premier des concurrents à arriver à destination pour gagner le titre honorifique, régner et, un jour, avoir un Moai dressé en son souvenir.

Je ne suis pas allée chercher l’œuf, mais j’ai pris un bateau pour aller faire de la plongée près de ladite île. L’eau y était limpide. J’y ai vu des grosses tortues (autre animal fétiche de Rapa Nui) évoluant lentement et des poissons-lune effarés de me voir là.

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En levant la tête, j’ai aperçu sur les flancs du volcan un rocher à l’aspect de Moaï couché, regardant vers le ciel. Qui sait? Peut-être que celui-ci rêve d’ailleurs, tandis que j’ai des envies de planter racines dans cette terre du bout du monde où tout n’est encore que mystère et légendes.

Comment y aller? Copa Airlines assure des liaisons Canada-Chili via le Panama. Ensuite Latam vous transporte de Santiago, Chili à Rapa Nui.

Où rester/Que faire?  Explora Rapa Nui est un lodge écologique de grand luxe. Élégant, il se fond dans son environnement sur une partie isolée de l’île. Explora offre de nombreuses excursions à travers l’île conduite par des guides locaux ou chiliens d’un grand savoir et d’une extrême gentillesse. Sa cuisine gastronomique offre un menu complet raffiné à chaque repas.

Auteur

  • Aurélie Resch

    Chroniqueuse voyages. Écrivaine, journaliste, scénariste. Collabore à diverses revues culturelles. Réalise des documentaires pour des télévisions francophones. Anime des ateliers d’écriture dans les écoles, les salons du livre et les centres culturels.

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