Les petits réacteurs modulaires, l’avenir de l’énergie nucléaire?

réacteur
Un petit réacteur nucléaire modulaire.
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Publié 14/01/2021 par Bruno Cournoyer Paquin

Le gouvernement du Canada dévoilait, à la fin de 2020, son plan d’action pour implanter les petits réacteurs modulaires (PRM) au pays. Ces réacteurs nucléaires de faible puissance promettent des designs sécuritaires, une énergie carboneutre abordable et pourraient répondre aux besoins en énergie des communautés isolées ou des sites miniers.

L’an dernier, trois provinces, l’Ontario, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick, recommandaient de s’engager dans cette voie.

Il n’est toutefois pas dit que le concept passera bel et bien de la table à dessin à la réalité.

Petits réacteurs nucléaire modulaires
Un modèle de petit réacteur modulaire de l’entreprise GFP.

Plan d’action

«Le plan d’action expose les contributions des différents joueurs et intervenants dans l’industrie des PRM», explique Ali Siddiqui, gestionnaire principal à la division des carburants avancés aux Laboratoires nucléaires canadiens (LNC).

Petits réacteurs nucléaire modulaires
Ali Siddiqui

Pour le professeur Guy Marleau, du Département de génie physique de Polytechnique Montréal, «il n’y a pas grand-chose dans le plan d’action, sauf pour dire que le gouvernement est d’accord [avec les PRM]. Indirectement, il y a des fonds alloués, parce que la Commission canadienne de sureté nucléaire (CCSN) accepte de faire l’étude de sécurité de ces réacteurs».

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Objectif politique

Le plan d’action du gouvernement fédéral n’investit pas de nouveaux fonds et n’établit pas de stratégie de recherche ou de plan de mise en œuvre pour les PRM, observe pour sa part François Caron, professeur à l’École de l’environnement de l’Université Laurentienne.

M.V. Ramana, professeur à l’École de politiques publiques et d’affaires mondiales de l’Université de Colombie-Britannique, croit que la seule logique derrière le plan d’action est de démontrer que le gouvernement fait quelque chose pour «lutter contre les changements climatiques», parce que le nucléaire n’émet pas de CO2.

«Donc ils donnent un peu d’argent à l’industrie nucléaire, un peu à l’industrie pétrolière, un peu pour développer l’hydrogène, sans véritable stratégie», soutient le professeur Ramana.

Peu de financement fédéral

La seule injection de financement fédéral dans les PRM est venue en octobre 2020, lorsque le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a accordé une subvention de 20 millions $ à l’entreprise ontarienne Terrestrial pour qu’elle continue de développer son concept de petit réacteur à sels fondus, avance M.V. Ramana.

Petits réacteurs nucléaire modulaires
M.V. Ramana

«C’est assez d’argent pour faire travailler quelques scientifiques et ingénieurs pendant quelques années, mais ils ne seront jamais vraiment capables de construire ce réacteur. Certainement pas sans dépenser quelque chose de l’ordre de milliards de dollars», estime le professeur de l’Université de Colombie-Britannique.

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Il indique à titre de comparaison que la firme américaine NuScale, qui vient de recevoir l’approbation de la Nuclear Regulatory Commission pour son concept de PRM à l’eau pressurisée, a reçu près d’un milliard de dollars du secteur privé et du gouvernement américain, sans pour autant être parvenue au stade de la construction du réacteur.

Un réacteur de démonstration en Ontario

Au Canada, Ali Siddiqui précise que les Laboratoires nucléaires canadiens ont reçu l’autorisation de lancer un appel d’offres auprès de l’industrie des PRM pour construire un réacteur de démonstration sur le site de Chalk River, en Ontario.

Quatre regroupements ont déposé des offres, dont Global First Power (GFP), un consortium qui allie Ontario Power Generation (OPG) et le concepteur de PRM Ultra Safe Nuclear (USNC).

Le projet de GFP a entamé la phase d’évaluation environnementale qui constitue la première étape d’une évaluation à plusieurs niveaux de la Commission canadienne de sureté nucléaire, selon Philip Kompass, gestionnaire des communications corporatives aux Laboratoires nucléaires canadiens.

Démontrer la valeur économique

GFP s’attend à obtenir toutes les licences nécessaires pour pouvoir entamer la construction en 2023-2024; le réacteur devrait pouvoir générer de l’électricité dès 2026, et pourrait amorcer les opérations commerciales vers 2027-2028, selon Eric McGoey, directeur de l’engagement et des communications pour GFP.

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Ali Siddiqui pense que ce projet-pilote «est un élément clé pour démontrer le cas économique [pour les PRM] et prouver qu’on peut en construire un dans des délais raisonnables, en respectant le budget. Ça va aussi construire la confiance, permettre à la chaine d’approvisionnement et aux compagnies qui manufacturent les composantes de s’établir».

De «petits» réacteurs?

Les petits réacteurs modulaires se distinguent des réacteurs nucléaires traditionnels d’abord par leur puissance réduite: alors que les réacteurs traditionnels ont une puissance située entre 600 et 1000 mégawatts, les PRM génèrent entre 1 et 300 mégawatts.

Les concepts de PRM se situent dans trois grandes catégories, ajoute Ali Siddiqui. Les PRM les plus puissants (entre 150 et 300 mégawatts) s’inscriraient dans les réseaux électriques urbains.

Les PRM de puissance moyenne (entre 10 et 150 mégawatts) pourraient fournir de l’énergie aux mines et aux sites industriels isolés.

Alors que les PRM de plus faible puissance (moins de 10 mégawatts) pourraient répondre aux besoins en électricité et en chauffage des communautés isolées.

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Pas plus gros qu’un supermarché

Ces réacteurs auraient aussi une petite empreinte dans l’espace physique : «Un réacteur [de 30 mégawatts] va être un édifice de la grosseur d’un magasin à rayons, d’une épicerie grande surface, et ça inclut tout l’équipement, turbines et ainsi de suite», illustre le professeur François Caron de l’Université Laurentienne.

Petits réacteurs nucléaire modulaires
Francois Caron

L’industrie nucléaire cherche à remplacer les turbines au diésel dans les endroits isolés parce qu’elles «ne sont pas les plus propres d’un point de vue environnemental et sont relativement couteuses, et parce qu’il faut y acheminer du diésel par voie terrestre, maritime ou aérienne», selon Ali Siddiqui.

Rentables?

Les coûts de l’énergie produite par les PRM seraient comparables à ceux de l’énergie produite par une nouvelle centrale hydroélectrique, selon Guy Marleau, pour une empreinte carbone similaire.

M.V. Ramana exprime des doutes quant à la rentabilité économique des petits réacteurs modulaires. Selon une analyse économique qu’il a réalisée avec des collègues, le cout de l’énergie produite par des PRM serait 10 fois celui du diésel ou d’une combinaison de diésel et d’énergies renouvelables.

«Personne ne voudra en acheter», craint-il.

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Deux petits meilleurs qu’un gros

«Ces petits réacteurs sont intéressants dans les régions qui sont plus éloignées, qui n’ont pas besoin de 1000 mégawatts; vous avez besoin d’une centrale qui répond aux besoins de la région», précise Guy Marleau de Polytechnique Montréal.

Petits réacteurs nucléaire modulaires
Guy Marleau

Si les besoins en énergie de la région augmentent, «vous pouvez utiliser le système de modularité pour dire “à côté du premier [réacteur de] 60 mégawatts, je vais installer un deuxième 60 mégawatts”, ce qui veut dire que vous doublez la production, mais sans avoir eu un premier investissement important pour construire un gros réacteur de 1000 mégawatts qui ne sera utilisé à pleine capacité que dans 50 ans», suggère-t-il.

François Caron ajoute que «parce qu’on a plusieurs copies de réacteurs qui sont identiques l’une à l’autre, plus on a de copies, plus ça devient économique au bout de la ligne».

Des modules comme des blocs Lego

La construction en modules est un avantage des PRM, explique Ali Siddiqui. «Les pièces seraient produites en usine, puis déplacées vers le site où le réacteur doit être construit, puis assemblé comme des blocs Lego.»

M.V. Ramana, de l’Université de la Colombie-Britannique, rappelle cependant que la modularité est devenue un procédé industriel standard pour plusieurs industries et qu’elle a déjà été employée dans la construction de réacteurs traditionnels, sans grand succès.

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Par exemple, dans le cas du réacteur AP1000 de la firme Westinghouse, «il y en a eu quatre de construits en Chine et quatre construits aux États-Unis. Dans tous les cas, il y a eu d’énormes dépassements de couts et d’échéances», illustre le professeur Ramana.

Un réacteur nucléaire transportable par camion.

Plusieurs marchés trop petits

Pour ce chercheur, on ne peut produire de PRM en quantité suffisante pour atteindre des économies d’échelle et rentabiliser les couts de production.

Selon une étude qu’il a réalisée avec des collègues, la demande énergétique des sites miniers et des communautés isolées au Canada serait d’un peu plus de 600 mégawatts, un marché beaucoup trop petit pour justifier la construction d’une usine de PRM.

Cette échelle remet aussi en question les assertions de l’industrie que les PRM, en remplaçant le diésel dans les communautés isolées, contribueraient de façon substantielle à la «lutte aux changements climatiques».

«Ce ne sont pas de grandes sources d’émissions de gaz à effet de serre. Un gratte-ciel à Toronto, Montréal ou Vancouver utilise probablement plus d’électricité que l’ensemble de ces communautés», donne en exemple M.V. Ramana.

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Les PRM plus sécuritaires?

Même s’ils produisent des déchets nucléaires au même titre que les réacteurs traditionnels, la conception des PRM fait en sorte qu’ils sont plus sécuritaires.

«Le refroidissement se fait naturellement, le design du réacteur est fait de telle façon que peu importe l’accident, il s’éteint, et qu’une fois éteint, il continue à se refroidir, sans qu’il y ait fusion du cœur ou qu’aucun produit de fission ne soit émis», explique le professeur de génie physique Guy Marleau.

«Le design des réacteurs spécifie qu’ils doivent être capables d’arrêter par eux-mêmes», selon François Caron. «Ce ne sera pas comme Fukushima. À Fukushima, les pompes pour refroidir le réacteur avaient besoin d’être alimentées. Avec le raz de marée, l’alimentation de ces pompes a été compromise, et à ce moment-là on ne pouvait pas faire le refroidissement du réacteur.»

Une petite centrale nucléaire au service d’une mine, d’un complexe industriel ou d’une communauté éloignée.

Grappes de réacteurs

Pour le professeur Ramana, la question de la sécurité est difficile à évaluer, d’abord parce qu’elle englobe plusieurs aspects qui peuvent être en tensions les uns avec les autres, et ensuite parce que la sécurité n’est jamais la seule considération dans la production d’un système.

«Il est vrai qu’un petit réacteur est plus sécuritaire parce qu’il y a une plus petite quantité de matière radioactive et que la quantité d’énergie à dissiper sera plus petite dans l’éventualité d’un accident», admet le professeur Ramana.

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Mais parce qu’il est plus petit, il est aussi moins rentable, ce qui incite les entreprises à les vendre en grappes: la compagnie américaine NuScale planifie vendre son réacteur de 60 mégawatts en groupe de 12.

Accidents en cascade

«Si tu as de multiples réacteurs sur un site, ça soulève différentes sortes d’enjeux de sécurité […] Ce qui arrive à un réacteur affecte tous les autres dans le même groupe», souligne M.V. Ramana.

Dans le cas de Fukushima, un accident dans un réacteur a contaminé le site avec des débris radioactifs, ce qui a empêché les travailleurs de pouvoir intervenir sur les autres réacteurs.

Les concepteurs peuvent aussi utiliser l’argument de la sécurité intrinsèque du réacteur pour se dispenser d’autres mesures de sécurité, comme la «zone de planification d’urgence», craint le professeur Ramana.

Pour le chercheur, les PRM seraient une façon pour l’industrie nucléaire d’améliorer son image de marque. «Ils peuvent dire “les nouveaux réacteurs sont petits, racés, etc.” et si vous regardez les modèles sur ordinateur, ils ont l’air très attrayants. Ils veulent qu’ils paraissent aussi différents que possible d’un réacteur traditionnel.»

Auteur

  • Bruno Cournoyer Paquin

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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