Les Milles: un camp entré dans la mémoire

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Publié 16/10/2012 par Aurélie Resch

Le ciel est d’un bleu limpide. Le village des Milles, situé entre Marseille et Aix est calme. Trop peut-être en ce jour. Devant cette ancienne tuilerie, le terrain vague regorge de voitures.

Les badauds ne se bousculent pourtant pas. Ils marchent silencieusement, en file, jusqu’à l’entrée. L’entrée d’un très beau bâtiment, ex-fabrique de tuiles.

De là où je me trouve, tout au bout du parking, la vue est saisissante. Presque apaisante. Mais c’est sans compter la présence dans mon dos d’un vieux wagon rouillé qui porte sur ses flans l’étoile de David et la marque de mesures.

La fabrique de tuiles des Milles a servi de camp d’internement et de déportation durant la Seconde Guerre mondiale. Une blessure qui reste ouverte et dont on n’aime pas trop parler ici.

Le camp

Pendant près de deux heures, je marche dans les locaux qui ont, entre 1939 et 1942, enfermé près de 10 000 personnes de 38 nationalités. Les lieux sont sombres et humides faiblement éclairés. À l’époque la lumière fragile passant par les vasistas suffisait à peine pour voir où on mettait les pieds.

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La fabrique de tuiles ayant été arrêtée pendant cette période, les fours ne fonctionnaient plus pour réchauffer et régnait dans les pièces un froid glacial. Les latrines ridiculement petites ne pouvaient suffire à une population aussi importante souvent frappée par la dysenterie. Je passe dans la «grande» salle du bas où s’entassaient les hommes, puis montent à l’étage où on stockait les tuiles.

L’endroit où les femmes et les enfants dormaient enchevêtrés, à même le sol. C’est aussi là qu’ils «vivaient» leur existence de détenus. La cour extérieure, dépourvue d’arbres, était brûlante l’été, glaciale l’hiver.

Chaque salle est pourvue de panneaux d’information et de photos, parfois trop, jusqu’à donner le tournis. Ils masquent la laideur et la désolation des lieux de détention et informent encore et encore sur l’innommable que l’on retrouve pourtant un peu partout. (Je garde en mémoire le musée attaché à la maison d’Anne Franck à Amsterdam).

De 1939 à 1940, le camp des Milles servit d’abord à emprisonner des «sujets ennemis», soit tout ressortissant du Reich, fussent-ils d’authentiques antifascistes venus fuir le nazisme et chercher refuge en France.

De 1940 à 1942, le camp accueille également les «indésirables». C’est le plus gros afflux du camp enregistré (3500 internés à la fois en juin 1940).

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Avec la défaite de la France et le signé de l’Armistice, le régime de Vichy interne des étrangers des camps du Sud-Ouest, des juifs expulsés du Palatinat et du Wurtemberg, des anciens des Brigades internationales d’Espagne. L’ex fabrique de tuiles des Milles devient aussi le seul camp de transit en France pour une émigration outre-mer.

Dans ce lieu surpeuplé, les conditions de vie se dégradent : vermine, maladies, pénurie de ravitaillement et promiscuité emportent de nombreuses vies.

D’août à septembre 1942, le lieu se transforme en camp de déportation des juifs. Plus de 2000 hommes, femmes et enfants seront déportés à Auschwitz via Drancy ou Rivesaltes. Une centaine d’enfants âgés d’un an seront déportés grâce au zèle de Laval proposant de déporter également les enfants mineurs. Cinq convois au total partiront du camp des Milles.

La mémoire

Il aura fallu près de trente ans de lutte pour faire accepter que cette ancienne tuilerie, un bâtiment de 15 000 mètres carrés sur un espace de 7 hectares, qui servit de camp de détention et de déportation, soit ouverte au public. Un lieu maudit qu’on ne veut pas ramener au grand jour.

Et pourtant, remarquablement conservé, avec des peintures encore visibles de plusieurs détenus, dont le célèbre peintre Max Ernst, ce lieu de mémoire et aussi outil pédagogique est un témoignage fantastique et nécessaire pour que ne se reproduise pas l’innommable.

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La dernière salle est d’ailleurs dédiée aux autres génocides et exactions commis dans le monde entier. Reliés à ce que nous avons découvert dans le camp, ils sont expliqués de manière à nous responsabiliser devant ce qui devient médiatiquement «banal».

On trouve également sur les murs de cette salle des témoignages et reportages sur toutes ces actions qui démontrent la grandeur de l’homme et sa puissance en un geste, une parole pour aller contre le fascisme, la dictature, le racisme, l’exclusion.

Vague intelligente de sensibilisation pour que nous demeurions vigilants à ce que la xénophobie, la violence et la peur ne retransforment pas des lieux ordinaires – comme cette tuilerie – en lieux d’abomination.

Reconnu monument historique par le ministère de la Culture et par le ministère de la Défense comme l’un des hauts lieux de mémoire français, cet ancien camp bénéficie du soutien de Madame Simone Weil et de Messieurs Elie Wiesel et Serge Klarsfeld pour devenir un lieu de commémoration et de projet éducatif. Un dessein pour lequel Monsieur Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles, Mémoire et Éducation, n’a eu de cesse de se battre et dont il peut se réjouir aujourd’hui.

Auteur

  • Aurélie Resch

    Chroniqueuse voyages. Écrivaine, journaliste, scénariste. Collabore à diverses revues culturelles. Réalise des documentaires pour des télévisions francophones. Anime des ateliers d’écriture dans les écoles, les salons du livre et les centres culturels.

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