Les intelligences multiples, mythe ou réalité?

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Malgré sa popularité dans le monde de l’éducation, aucune étude n’a démontré la validité de la théorie des intelligences multiples. Photo: iStock.com/MarLei
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Publié 16/06/2024 par Kathleen Couillard

Intelligence musicale, kinesthésique, linguistique, logicomathématique… La théorie des intelligences multiples suppose que certaines personnes — notamment certains écoliers — auraient une plus grande intelligence dans certains domaines que d’autres.

La théorie des intelligences multiples a été bien reçue en éducation, mais des études ont souvent tendance à contredire la théorie. Le cerveau n’est pas composé de différentes «sections» indépendantes les unes des autres.

Howard Gardner

On doit au psychologue américain Howard Gardner le concept des intelligences multiples, élaboré pour la première fois en 1983 dans son livre Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences.

Dans un chapitre du livre The Cambridge Handbook of Intelligence publié en 2011, où il revenait sur sa théorie, Gardner critiquait l’idée d’une intelligence unique et générale. De plus, selon lui, le système scolaire valoriserait beaucoup trop les habiletés linguistiques et logicomathématiques.

Son approche, qui privilégie des intelligences spécifiques, a été reçue avec beaucoup d’enthousiasme dans certains milieux de l’éducation. Il a publié d’autres livres de vulgarisation et des articles scientifiques sur le sujet dans les décennies suivantes.

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Howard Gardner. Photo: Citizen University, CC BY 3.0, Wikimedia Commons.

Huit intelligences

Dans son livre Multiple intelligences publié en 1993, Gardner définissait une intelligence comme une habileté permettant de résoudre des problèmes ou de créer des produits pertinents pour la société.

En se basant sur huit critères plus ou moins flexibles, Gardner a identifié sept intelligences: linguistique, musicale, logicomathématique, spatiale, kinesthésique, intrapersonnelle et interpersonnelle. En 1997, il en a ajouté une huitième, l’intelligence naturaliste.

Selon Gardner, les intelligences seraient à la fois des traits génétiques innés et des habiletés développées à travers les expériences de vie.

De plus, chaque individu possèderait toutes les intelligences, mais à des niveaux variables. Par exemple, une personne pourrait être très forte pour l’intelligence spatiale et plus faible pour l’intelligence interpersonnelle.

Les intelligences, et c’est un élément important de sa théorie, seraient donc indépendantes les unes des autres.

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L’intelligence générale plus importante

En 1999, dans son livre Intelligence Reframed, Gardner expliquait avoir choisi délibérément le terme intelligence parce que l’utilisation des mots faculté ou don n’aurait pas attiré autant l’attention.

Ce choix de vocabulaire lui a d’ailleurs été reproché, soulignaient en 2012 les chercheurs québécois Serge Larivée et Carole Sénéchal dans un texte évaluant les bases scientifiques de cette théorie. Ils en concluaient qu’il s’agit d’une définition beaucoup trop imprécise de l’intelligence et s’interrogeaient sur la raison du succès de cette théorie.

En 2006, des chercheurs ontariens en psychologie avaient voulu tester la théorie de Gardner. Pour y arriver, ils avaient recruté 200 participants à qui ils avaient d’abord fait passer un test pour mesurer l’intelligence générale. Ils les avaient ensuite soumis à une multitude de tâches pour mesurer leurs différentes intelligences telles que décrites dans la théorie.

Résultat: une association entre certaines d’entre elles. Par exemple, les gens qui réussissaient bien une tâche consistant à classer des éléments dans différentes catégories (attribuée à l’intelligence naturaliste) avaient également de bons résultats pour le vocabulaire (intelligence linguistique), pour trouver le plus court chemin sur une carte (intelligence spatiale) ou pour effectuer des soustractions et des additions (intelligence logicomathématique).

Le problème est que, si les intelligences étaient réellement indépendantes, le score obtenu dans une tâche ne devrait pas permettre de prédire le résultat d’une autre.

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De plus, les chercheurs ont observé une corrélation assez importante entre les résultats de la plupart de ces tests et celui mesurant l’intelligence générale.

Cet effet était moins grand pour les tests associés à l’intelligence kinesthésique (équilibre et dextérité), musicale et intrapersonnelle, trois intelligences qui n’ont pas une aussi grande composante cognitive.

Ces résultats contrediraient donc la théorie de Gardner et démontreraient plutôt le bien-fondé du concept de l’intelligence générale.

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Le cerveau humain fonctionne comme un tout et non pas comme une addition de structures séparées. Photo: National Institute of Health (États-Unis).

Une théorie solide ou un neuromythe?

Déjà en 2006, une spécialiste en psychologie de l’enfance, Lynn Waterhouse, concluait qu’aucune étude ne permettait de soutenir la théorie des intelligences multiples et qu’en conséquence, elle ne devrait pas être utilisée pour appuyer des «pratiques éducationnelles».

Dans un autre article publié en 2023, elle était toujours aussi affirmative, en parlant même comme d’un «neuromythe».

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Des chercheurs espagnols ont réalisé en 2021 une méta-analyse à partir de 39 articles se penchant sur l’impact de l’utilisation des intelligences multiples à l’école.

La plupart de ces études, déploraient les chercheurs, ne contenaient pas assez d’informations sur la méthodologie pour évaluer leur qualité ni même pour les reproduire. Par exemple, on ne savait pas en quoi consistaient les interventions menées en classe ni comment les variables avaient été mesurées.

Conséquence sur l’apprentissage

Ces chercheurs en éducation et en psychologie ont malgré tout cherché à utiliser ces données pour calculer l’effet de l’approche des intelligences multiples sur l’apprentissage. Ils sont arrivés à un effet positif largement supérieur à ce que l’on mesure généralement dans les études en psychologie, ce qui leur a semblé étrange.

L’analyse leur a ensuite permis de conclure que l’effet mesuré était probablement gonflé par des biais de publication, c’est-à-dire que les expériences qui ne donnaient pas les résultats espérés n’étaient généralement pas publiées. Après avoir corrigé les données pour tenir compte de ce biais, l’effet n’était plus significatif.

Dans leur texte publié en 2011, Serge Larivée, professeur de psychoéducation à l’Université de Montréal, et Carole Sénéchal, aujourd’hui à l’Université d’Ottawa, concluaient eux aussi que même si la théorie des intelligences multiples a le mérite de plaider pour la reconnaissance des talents, elle est mal fondée sur le plan scientifique.

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Ils la décrivaient comme anecdotique et relevant plus de l’opinion que de la théorie scientifique.

Le cerveau n’est pas modulaire

En employant le terme «neuromythe» en 2023, Lynn Waterhouse écrivait que, même si on pouvait l’ignorer dans les années 1980, les recherches en neuroscience avaient depuis démontré clairement que le cerveau ne fonctionne pas de façon modulaire, comme le présuppose la théorie des intelligences multiples.

«Le cerveau n’est pas structuré en des modules séparés dédiés à des formes spécifiques de cognition.»

C’est néanmoins un neuromythe bien implanté, déplore-t-elle. Des stratégies d’enseignement basées sur l’idée d’intelligences multiples sont utilisées dans des écoles à travers le monde, ce qui «limite les efforts pour découvrir des méthodes d’enseignement basées sur des données probantes».

Auteurs

  • Kathleen Couillard

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

  • Agence Science-Presse

    Média à but non lucratif basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada.

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