Les homosexuels sont passés du bûcher à la mairie

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 19/06/2007 par Paul-François Sylvestre

Professeur au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, Patrice Corriveau a récemment publié La Répression des homosexuels au Québec et en France: du bûcher à la mairie (Éditions du Septentrion). L’auteur signe un ouvrage très fouillé qui s’appuie sur des recherches historiques, sociologiques et juridiques. Bien que le style soit très universitaire, cet essai a le mérite de brosser le portrait d’une réalité trop longtemps occultée.

L’auteur remonte jusqu’à la régulation sociale des mœurs homoérotiques dans la Grèce antique. Il examine comment le Moyen-Âge a valsé entre tolérance et répression vis-à-vis des homosexuels, il explique comment le sodomite a souvent été le bouc émissaire parfait pour les législateurs du XVIe siècle et à quel point l’homosexualité a été philosophiquement réprimée durant la Renaissance mais juridiquement tolérée.

Pour étudier la question de la répression des homosexuels, Corriveau a choisi de comparer la France et le Québec. Il note que ces deux sociétés sont d’abord régies par la Grande Ordonnance de Louis XIV à partir de 1670. Cette Ordonnance condamne le sodomite tant dans la colonie que dans la mère patrie: «Son vice allant à l’encontre de la nature divine de l’homme, il mérite un châtiment à l’image de son crime: exemplaire, puni selon ce que la justice divine en a tiré, le bûcher.»

C’est avec la Conquête britannique de 1760 que les sociétés française et québécoise empruntent des chemins différents. La nouvelle colonie britannique est soumise à un régime pénal fortement répressif, particulièrement à l’égard de la morale publique. Les comportements homoérotiques sont présentés comme des actes impurs, des crimes contre nature.

Mais c’est surtout le discours catholique, omniprésent à partir de 1840, qui dicte les mœurs et la moralité aux Canadiens français tout au long du XIXe siècle. «Les comportements homoérotiques, consentants ou non, sont lourdement réprimés par la doctrine pénale, la peine capitale n’étant officiellement proscrite qu’en 1861.» Néanmoins, aucun sodomite n’a été pendu au Canada français durant le XVIe siècle.

Publicité

De son côté, la France est guidée par les philosophes du siècle des Lumières et elle entreprend sa longue marche vers la Révolution, les crimes à connotation religieuse ou contre les mœurs ont tendance à disparaître du code pénal pour être remplacés par tout ce qui touche l’individu ou ses biens. «La sexualité des individus consentants et en privé sort du champ pénal, les mœurs homoérotiques y compris.»

Avec la sécularisation massive de la société française, la conception religieuse de la moralité publique s’estompe rapidement. Mais le médecin prend progressivement la place du curé et le discours médical incite la bourgeoisie «à se prémunir contre les risques d’une dépravation généralisée des mœurs qui occasionnerait une dégénérescence de la nation».

C’est à partir du milieu du XXe siècle que le Québec accède à la modernité, se sécularise, s’urbanise et s’industrialise. Les Québécois se libèrent dès lors du discours ecclésial. Le système pénal fait de même lorsque le ministre de la Justice, Pierre E. Trudeau, décriminalise l’homosexualité en faisant adopté son bill Omnibus le 27 juin 1969.

Patrice Corriveau note que cette loi «émane probablement d’une plus grande tolérance de la société canadienne à l’égard de ce type de sexualité, et non d’une demande politique des homosexuels». Presque dix ans plus tard, le 15 décembre 1977, le Québec devient le premier État au monde à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle lorsque René Lévesque fait adopter la Charte des droits et libertés de la personne. Et comme on le sait, le mariage des couples de même sexe est entré en vigueur partout au Canada le 20 juillet 2005.

En France, on assiste à une sorte de saut en arrière. «Travail, Famille, Patrie», clame Pétain. Puis en 1960, Charles de Gaulle inscrit l’homosexualité sur la liste des fléaux sociaux. Le climat de ségrégation juridique à l’égard des homosexuels perdure jusqu’en 1982, année de la dépénalisation de l’ensemble des mœurs homoérotiques commis en privé et entre adultes consentants. Le Pacte civil de solidarité (PACS) est adopté en 1999; il autorise l’union de deux personnes de même sexe mais pas le mariage.

Publicité

Selon Patrice Corriveau, l’histoire de la répression juridique des mœurs homoérotiques en Occident semble indiquer que nos société n’ont fait que déplacer l’objet de leur valeur: de la famille d’hier à l’enfant d’aujourd’hui. Hier le sodomite était une menace à la famille, aujourd’hui le pédophile ou le père incestueux menace de corrompre la jeunesse.

En conclusion, l’auteur écrit: «Du bûcher à la mairie, voilà l’ampleur du renversement de la logique juridique à l’égard de l’homosexualité en Occident.» Il prend cependant soin d’ajouter que 80 pays considèrent encore en 2007 l’homosexualité comme un crime. L’auteur note, enfin, que la dénatalité, la guerre et les crises économiques sont autant de périodes de bouleversements qui ont coïncidé avec une recrudescence de la répression, «où l’homosexuel a servi de bouc émissaire pour calmer l’opinion publique ou justifier une action politique».

Patrice Corriveau, La Répression des homosexuels au Québec et en France: du bûcher à la mairie, essai, Sillery, Éditions du Septentrion, 2007, 242 pages, 27,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur