Les accents slaves du français

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Publié 13/05/2008 par Martin Francoeur

Bon, je ne vais pas vous le cacher. Je rentre de voyage. C’est pour cela que l’on a eu au moins un rendez-vous manqué dans ces pages. Mais rassurez-vous, comme j’ai souvent l’habitude de le faire, je me suis laissé inspirer une chronique alors que je profitais, en Europe centrale, de deux belles semaines de découvertes.

Je suis allé en République Tchèque, en Slovaquie, en Hongrie et en Autriche. Je me suis évidemment intéressé aux langues qu’on y parle.

D’abord, il est étonnant de constater qu’en Europe, surtout dans sa partie centrale, on peut changer quatre fois de pays, de langue et encore d’unité monétaire dans un rayon de 400 kilomètres.

Pour ce qui est de la langue, c’est le dépaysement total. Nous sommes au royaume des langues slaves, qui n’ont que bien peu de choses à voir avec les langues latines ou les langues anglo-saxonnes. Mais quelque différentes que soient ces langues par rapport au français, on trouve tout de même quelques traces du tchèque et du hongrois dans notre vocabulaire.

Je vous ai déjà parlé du mot «dollar», auquel on attribue une origine allemande mais que le tchèque peut aussi revendiquer. Le mot vient du bas allemand «thaler», un mot qui a une relation avec le mot tchèque «tolar».

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En fait, «thaler» est une abréviation du mot «Joachimsthaler», qui signifie à proprement parler «pièce de monnaie, sou, de la vallée de Saint-Joachim». Cette appelation tire son origine de la ville de Bohême de Jachymov où, à partir du XVIe siècle, ont été exploitées des mines d’argent.

C’est donc là qu’étaient frappées ces pièces, d’où l’origine du mot «thaler». Et la Bohême, vous l’aurez deviné, est une région de la République Tchèque.

Le mot «polka», qui désigne une danse que l’on associe souvent à la Pologne, est emprunté à l’allemand mais vient lui aussi du tchèque.

On s’étonnera peut-être d’apprendre que le mot «robot» vient lui aussi du tchèque. Le Robert nous dit que le mot est apparu vers 1924 et vient du tchèque «robota», qui signifie «travail forcé». Le mot avait été utilisé dans une œuvre du dramaturge Capek pour désigner des ouvriers artificiels.

Enfin, on attribue au tchèque certains autres mots comme «pistolet» ou «calèche». Dans le cas de «pistolet», l’origine est toutefois contestée.

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Si «calèche» est d’origine tchèque, on apprend qu’un autre mot relié aux déplacements à chevaux est quant à lui d’origine hongroise. Le mot «coche» est apparu en français au XVIe siècle, désignant alors une grande voiture tirée par des chevaux, qui servait au transport des voyageurs. Le mot viendrait du hongrois «kocsi», lui-même issu de Kocs, qui est en fait le nom d’un village entre Vienne et Pest. Avant d’atterrir dans notre langue, le mot serait passé par l’allemand ou le vénitien.

Du hongrois, le français a surtout retenu des mots propres à la culture ou à la gastronomie locale. On ne s’étonnera donc pas trop d’apprendre que «paprika» et «goulache» sont d’origine hongroise.

Dans le cas de «goulache», qui désigne un ragoût de bœuf préparé à la manière hongroise, avec du paprika (!), on apprend que le mot peut s’orthographier de différentes façons. Les dictionnaires acceptent aussi «goulasch» et «goulash». Mais la forme la plus francisée, «goulache», demeure la plus fréquente.

Sur le plan folklorique, le hongrois nous a aussi légué le mot «czardas», que l’on peut prononcer «gzardass» ou «tsardass». Le terme désigne une danse hongroise, composée d’une partie lente et d’une partie rapide. Le mot peut aussi être employé pour désigner la musique sur laquelle on la danse. Brahms, qui n’avait pourtant rien d’hongrois, a composé plusieurs czardas.

Le mot «tsigane» ou «tzigane» a lui aussi des origines magyares. Il serait apparu en français grâce à l’allemand «Tzigeuner», lui-même issu du hongrois «Czigany».

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Mais ce mot aurait des origines byzantines très anciennes. «Athinganos» signifie «qui ne touche pas». Ce serait une expression employée alors pour désigner ce peuple ou cette secte de manichéens venue de Phrygie. Les Tziganes sont en fait des peuples originaires de l’Inde et apparus en Europe vers le XIVe siècle. Ils mènent une vie nomade et sont encore très présents en Europe centrale.

Enfin, on attribue au hongrois d’autres mots comme «hussard», «sabre» et «shako». Ce dernier mot désigne une coiffe militaire propre aux anciennes armées hongroises.

Dans certains de ces cas, on note aussi une influence du turc sur le plan étymologique. L’origine de certains mots que l’on croit hongrois est parfois contestée. On trouve souvent des racines propres à la langue turque, si bien que l’on confond parfois l’origine exacte des mots utilisés en français.

Un mot enfin sur les langues des autres pays visités. Le slovaque est une langue assez proche du tchèque mais il est difficile de retracer des mots qui pourraient avoir cette origine. Quant à l’Autriche, on y parle allemand et j’ai souvenir d’une chronique où je faisais état des nombreux mots que la langue de Goethe a légués à celle de Molière.

Comme quoi les langues, quelles qu’elles soient, s’enrichissent constamment et mutuellement. C’était vrai il y a huit ou dix siècles. Ça l’est encore aujourd’hui. Et ça le sera probablement pour plusieurs siècles encore.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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