Un athlète aime-t-il lire la biographie d’un sportif? Un entrepreneur prend-il plaisir à lire la vie d’un homme d’affaires? Je ne saurais le dire, mais je peux affirmer que j’ai adoré lire Le Château de sable, autobiographie de l’écrivain Pierre Chatillon. Plus connu au Québec qu’en Ontario, cet auteur a publié 25 ouvrages, allant de la poésie au roman, en passant par la nouvelle, le conte, le récit et l’essai. En relatant son parcours d’écrivain, il décrit une période bien précise, soit celle de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille au Québec. Cela m’a vivement intéressé.
Né le 6 janvier 1939 à Nicolet, Pierre Chatillon a eu une enfance heureuse, tellement heureuse qu’il n’en est jamais sorti et qu’il y revient aujourd’hui avec délices. «Si j’écris avec tant d’abondance, si je compose des chansons et de la musique, c’est que j’aime jouer, que j’ai conservé la faculté de m’émerveiller, que je ne me laisse pas li-miter par la réalité, que je prends plaisir à la remodeler, à la réinventer.»
Chatillon a toujours su conserver l’état d’émerveillement qui caractérise un enfant et cela l’a prédisposé à livrer une poésie qu’il définit en ces termes: «La poésie consiste à donner des yeux neufs au lecteur, à le guérir de la banalité qui s’est ins-tallée comme une sorte de maladie dans le regard qu’il jette sur la vie, à lui redonner l’émerveillement de ses yeux d’enfant.»
Pour en arriver à donner des yeux neufs à ces lecteurs, Pierre Chatillon a dû d’abord traverser une période difficile. De 1948 à 1960, le premier ministre Duplessis et les évêques «se donnèrent la main pour refuser le progrès, empêcher l’évolution de la société, et plongèrent le Québec dans ce qu’on appelle la Grande Noirceur.»
Pour son plus grand malheur, Pierre Chatillon fait ses études à cette époque-là. Il sort du cours classique «en sachant faire le signe de la croix, mais sans savoir faire un signe de piastre.» Il garde de ses années au Séminaire de Nicolet et de Joliette le souvenir d’une uniformité dans l’habillement et la pensée. C’est à un prêtre que le jeune Pierre doit la découverte du mot «haine». Il était entré au Séminaire en toute innocence, voyant dans les prêtres des amis et des puits de sagesse, mais il a trouvé en plusieurs d’entre eux «des geôliers, des inquisiteurs, des tourmenteurs d’âmes.»