Le troisième roman de Gérard Bouchard

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Publié 01/09/2009 par Paul-François Sylvestre

Historien et sociologue de réputation internationale, Gérard Bouchard est aussi romancier. Il vient de publier un troisième roman intitulé Uashat. C’est le nom d’une réserve indienne près de Sept-Îles et le lieu où est envoyé un étudiant en sociologie pour recueillir des statistiques et dresser un tableau de ces familles de Montagnais. Le journal tenu par cet étudiant, d’avril à octobre 1954, constitue le corps du roman.

Étudiant à l’Université Laval, Florent Moisan est un rouquin de 19 ans. D’origine modeste et à court d’argent, il a accepte l’offre d’un stage parmi les Indiens de Uashat. Il s’attend à un été studieux et paisible qui convient à sa nature fragile et timide. Mais dès son arrivée, c’est le choc. Quel étrange milieu! Qui sont donc ces gens? Ils ne ressemblent en rien aux «sauvages» dont on lui a parlé à la petite école.

Chaque porte que Florent réussit à ouvrir dévoile une réalité insoupçonnée, déroutante. Alors qu’il se voyait en observateur détaché, il devient malgré lui un acteur important et maladroit dans un enchaînement d’épisodes qu’il comprend mal.

Rien ne se déroule comme il l’avait prévu. Malgré lui, Florent est témoin d’une tragédie qui frappe la communauté. Il voit tous ces Blancs venus en masse chercher du travail à Sept-Îles, il voit la ville grossir, «mais il y a ces sauvages à côté. Alors on voudrait les déplacer, encore une fois.» Nous sommes en 1954, dans un Québec confronté à des tensions qui l’obligent à se réinventer. Nous sommes aussi en présence d’une communauté montagnaise menacée de disparition, animée elle aussi par une sourde révolte… qui n’aura rien de tranquille.

Tout au long du roman, Bouchard fait vivre des personnages finement ciselés et fortement animés qui nous font vivre avec une extraordinaire émotion l’ampleur d’un drame sociétal.

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Uashat est un roman qui repose sur une solide recherche historique. On y trouve parfois quelques allusions politiques, comme «la patte molle à Saint-Laurent à Ottawa, puis l’hypocrite à Duplessis à Québec».

À certains moments, il y a des touches humoristiques; Florent écrit que «si j’étais moins roux, j’aurais les bleus.»

L’auteur a aussi l’art d’assaisonner son récit d’expressions inusitées. La plus colorée est la suivante: «Elle est fille de notaire, mais pas fière-pette.»

Pour dire que des filles sont maigres, Bouchard écrit «elles m’ont paru pas mal chicotues.» Pour décrire un homme qui parle fort pour tenir des propos confus, le romancier lance «Il tonne plus qu’il éclaire.» Quelle belle trouvaille!

Le corps maigre de Florent fait l’objet d’une jolie comparaison: «il est transparent comme une vieille peau de tambour». Et la façon d’agir du jeune étudiant est décrit comme suit: «Des fois je me comporte comme une vraie nannoune.»

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En revanche, ce qui est regrettable dans ce roman, c’est l’emploi exagéré des parenthèses. À certaines pages, il y en a dans chaque paragraphe. Cela devient irritant et rend la lecture fatigante. En voici un exemple: «En chemin, j’ai traversé le “town site”, qui est le quartier ouvrier (l’Iron Ore y possède toutes les maisons et les loue à ses employés). Je suis revenu par la rue Arnaud (il y a un trottoir), j’ai repéré la clinique, une couple de bars aussi (on ne sait jamais…).» Trois parenthèses en quatre lignes!

Tel que mentionné plus tôt, Florent Moisan tient un journal pour documenter son séjour à Uashat. Le contenu dépasse souvent le cadre sociologique de son étude. Loin des siens pendant six mois, il réfléchit à sa relation avec son père, sa mère, son frère et son amie d’enfance.

À titre d’exemple, il raconte comment il n’avait pas caché sa fierté de sauter une année à la petite école. Sa mère lui avait alors lancé: «Perds pas le nord, ça prouve que t’es pas niaiseux, c’est tout.»

Le soir, lorsque Florent était passé près de sa mère pour aller se coucher, elle s’était levée et avait pressé sa tête contre la sienne, sans dire un mot. «Ça n’a duré qu’une seconde; elle dure encore», écrit-il dans son journal.

Ces petites introspections donnent beaucoup de substance au roman et compense pour l’usage exagéré des parenthèses. Je suis surpris qu’une maison d’édition comme Boréal n’ait pas exigé une légère réécriture. À moins que chaque parenthèse soit là pour nous indiquer que le personnage central souffre de bégaiement (j’en doute).

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Gérard Bouchard, Uashat, roman, Montréal, Éditions du Boréal, 2009, 328 pages, 25,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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