Le Tigre blanc d’Aravind Adiga, irrévérencieux et profondément attachant

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Publié 14/04/2009 par Paul-François Sylvestre

Aravind Adiga est un jeune écrivain de l’Inde, qui s’est fait remarquer dès la publication de son premier roman, The White Tiger, en 2008. Il a remporté le Booker Prize, équivalent anglais du prix Goncourt. Son ouvrage a récemment été traduit en français et Le Tigre blanc est aussitôt devenu un success-story en présentant une Inde crasse et un anti-héros impertinent. On se croirait dans Slumdog Millionnaire!

Le tigre blanc du titre est Balram Halwai, un enfant à l’intelligence aussi rare que ce félin exceptionnel. Il vit à Bihar, village misérable où il n’a pu terminer ses études secondaires. Employé dans une de ces innombrables petites échoppes de thé qui essaiment le long des routes en Inde, il doit son salut à l’un de ces nouveaux riches qui lui propose de devenir son chauffeur à Delhi. Balram Halwai est le narrateur du Tigre blanc et il le fait en écrivant une longue lettre (320 pages) à Wen Jiabao, Premier ministre de la Chine, qui se prépare à visiter l’Inde.

L’auteur n’hésite pas décrire les côtés moins reluisants de son Inde natale. Il écrit que son pays est dépourvu «d’eau potable, d’électricité, de système d’évacuation des eaux usées, de transports publics, d’hygiène, de discipline, de courtoisie et de ponctualité». Mais il ajoute, du même souffle, que l’Inde possède des entrepreneurs. Balram Halwai, vous le devinez bien, va devenir un de ces entrepreneurs.

Balram sait que, selon la loi infaillible dans l’Inde des pauvres, «les bonnes choses se transforment en mauvaises choses. Et vite.» Il veut sortir de la couche majoritaire des affamés, des éclopés et des laissés-pour-compte. Balram sait qu’il en a le potentiel puisqu’il a la capacité d’écouter: «je ne suis pas un esprit original, mais je suis un auditoire attentif».

Dès qu’il quitte la petite échoppe de thé à Bihar pour devenir chauffeur à Delhi, Balram est ébloui par les feux brillants de l’Inde récente des nouveaux entrepreneurs. Pour y accéder, le brillant et fidèle serviteur doit basculer dans le vol et le crime innommable, pour finir dans l’Entreprise.

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Aravind Adiga décrit ce monde de l’Entreprise en juxtaposant diverses scènes du quotidien crasse et en créant de petites intrigues savoureuses qui démontrent à quel point la sous-traitance demeure la clé du succès.

Pour devenir riche, note-t-il, il faut «exécuter des tâches en Inde pour les Américains via le téléphone. Tout en dépendait: l’immobilier, la richesse, le pouvoir, le sexe.»

C’est avec une minutie enivrante que le jeune romancier lève le voile sur la Shining India du XXIe siècle. En nous plongeant au cœur d’un village sordide sur les berges du Gange, puis au nouvel eldorado sudiste et high-tech de Bangalore, Le Tigre blanc nous raconte la vie et le destin d’un laissé pour compte du miracle économique indien qui fascine tant l’Occident. Grâce à la confession brutale, choquante et palpitante d’un entrepreneur criminel, Aravind Adiga réussit avec brio à décrire l’envers de la médaille d’une Inde qui brille économiquement.

Le Tigre blanc est un roman obsédant écrit au scalpel et à même la chair du sous-continent. Je dirais même qu’il s’agit d’un conte cynique, irrévérencieux, impénitent et amoral, mais très charismatique et profondément attachant.

Aravind Adiga est né en Inde en 1974. Élevé en partie en Australie, il a fait ses études à Columbia et à Oxford. Ex correspondant du magazine Time, il a aussi écrit pour le Financial Times. Il vit à Bombay. Le Tigre blanc est son premier roman. Et sûrement pas son dernier.

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Aravind Adiga, Le Tigre blanc, roman traduit de l’anglais par Annick Le Goyat, Paris, Éditions Buchet-Chastel, coll. Littérature étrangère, 2008, 324 pages, 41,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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