Avant les Beatles, avant Dylan, Brel et Billie Holiday, mon tout premier frisson musical, celui qui colle à la peau pour la vie, je le dois à Claude Léveillée, par le biais d’un de ces magnifiques vieux microsillons Columbia que mes parents avaient dû acheter pour trois sous dans un sous-sol d’église. Couché sur la moquette du salon, l’oreille collée à notre tourne-disque valise incassable, j’écoutais et réécoutais Taxi, Frédéric et Ne dis rien, absorbant sans le savoir de précieuses leçons d’écriture et de vie.
À en juger par Le temps d’une chanson, le temps de dire je t’aime, Claude Léveillée (Les disques Aube/Sélect), ils sont des tas à avoir découvert la magie de cet alliage de mots et de mélodies grâce à lui. Dommage que sur les 15 extraits de cet hommage concocté avec hâte (et dont les profits permettront à Léveillée de recevoir à domicile les soins qu’exige sa ma-ladie), le frisson n’est au rendez-vous qu’une fois sur deux.
Il serait facile de jeter la faute sur les jeunes interprètes féminines – Marie-Pier Perreault et Marie-Élaine Thibert, surtout – qui noient leurs lectures dans un torrent de «feeling» mielleux, du genre à subjuguer le jury de Star Académie, mais ce serait oublier un autre coupable, Dan Bigras, dont l’approche testostéronique est aux antipodes de la sensibilité de Léveillée: de lui confier Frédéric, chanson sacrée entre toutes, équi-vaut à laver ses coupes de cristal dans un robot culinaire.
Par chance, une poignée d’interprétations sauve la mise: fidèle à lui-même, Richard Desjardins nous permet de redécouvrir ce miracle de tendresse qu’est Avec les yeux, avec les mains (sur un texte de Vigneault), Richard Séguin adopte Mon Pays comme s’il l’avait écrite, tandis que Robert Charle-bois caresse pudiquement les Vieux pianos avec le soutien d’An-dré Gagnon, qui fut long-temps le complice de Léveillée sur scène et en studio.
Mais s’il est une leçon que l’on retient de cet album en dents de scie, c’est que le meilleur interprète de Léveillée sera toujours Léveillée lui-même.