Le Maurice Richard de Charles Binamé

L'homme derrière la légende

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Publié 18/04/2006 par Marta Dolecki

Nouvelle bande-annonce, nouveau poster: pour la sortie de Maurice Richard au Canada anglais le 21 avril prochain, le visage de Roy Dupuis, alias le Rocket, qui figurait en tête d’affiche au Québec, a été remplacé par un plan d’ensemble où l’on voit la silhouette du numéro 9, bâton de hockey en main, s’apprêter à franchir la fameuse ligne rouge, direction: le filet de l’adversaire.

Tout en gommant certains référents identitaires, le distributeur du film, Alliance Atlantis, a néanmoins mis les bouchées doubles pour cette sortie d’un «océan à l’autre». Maurice Richard, devenu The Rocket en territoire anglophone, s’apprête à déferler sur 150 écrans à travers le pays.

Distribution à grande échelle, campagne promotionnelle en compagnie du réalisateur et des acteurs principaux en passant par une fête de circonstance au Temple de la renommée du hockey: rien n’a été fait à moitié pour un sujet lui-même plus grand que nature.

The Rocket, c’est en effet «un rêve, une nation, une légende», nous dit encore l’affiche dans sa version anglaise. Et il est vrai que Maurice Richard, héros des Canadiens-Français, véritable icône du hockey, incarnait la source d’inspiration de tout un peuple. Cependant, sur ce même Maurice Richard, tout a été dit, tout a été écrit. Surtout, chacun a sa petite idée de ce que Maurice Richard représente pour lui. Alors que restait-il à faire, à dire de plus?

Derrière le mythe

Héros d’un peuple, icône du hockey, symbole national… Des termes flous sur lesquels le réalisateur Charles Binamé a voulu lever le voile. «Un héros, je ne sais pas pour vous, mais pour moi, le personnage de Maurice Richard, représentait quelque chose d’abstrait», a fait valoir Charles Binamé en entrevue, à Toronto, lors de la grande première du film, le 10 avril dernier.

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Dans un même élan, M. Binamé a confié ne pas être spécialement un amateur de hockey, pas plus qu’un spécialiste chevronné, connaissant de fond en comble la vie du Rocket. «Avant que je n’aborde le sujet, Maurice Richard demeurait un peu en dehors de moi. Je savais ce qu’il avait fait, qui il était, mais ça s’arrêtait-là», explique le réalisateur.

Alors, pour véritablement plonger dans l’intériorité du personnage, Charles Binamé a lu, ou plus exactement dévoré et visionné tout ce qu’il pouvait trouver sur Maurice Richard.

Archives de l’ONF, littérature spécialisée, ouvrages historiques, tout a été passé au crible. Il a également confié le scénario du film à Ken Scott, auteur de La Grande séduction.

Si ce n’avait été pour son parti pris, Maurice Richard aurait pu être un autre film sportif, version élaborée de la Soirée du hockey de Radio-Canada, avec ses rushs d’adrénaline, ses altercations entre joueurs, et ses plans de caméra qui ne quittent pas la glace d’un pouce.

Mais ce que Charles Binamé et Ken Scott ont souhaité faire, c’est «d’aller à la rencontre de la face cachée de l’homme, de le montrer dans son humilité, ses peurs, ses doutes, de rendre cet homme de peu de mots loquace», d’avancer le réalisateur.

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On voit ainsi un Maurice Richard non seulement sur la glace, mais aussi dans la sphère intime, confronter le regard inquisiteur de ses futurs beaux-parents, pleurer à la naissance de sa petite fille, et plus tard, bouillonner de colère sous les insultes de l’entraîneur du Canadien Dick Irvin.

Au centre du film se retrouve inscrite, certes, l’histoire d’un héros, mais avant tout celle d’un homme, simple, humble et humain, qui a su toucher les Canadiens français, justement parce qu’il n’a jamais cherché à être un héros, mais faisait davantage les choses par conviction, parce qu’il n’aimait pas se faire marcher sur les pieds et préférait agir plutôt que de trop parler.

Le long métrage réussit à replacer la vie du célèbre joueur de hockey dans un contexte historique, celui de la Grande noirceur, une époque de stagnation au Québec. Tout comme Maurice Richard à ses débuts, la plupart des Canadiens français vivent modestement, dominés par l’élite anglaise qui dirige le monde des affaires.

La misère de la vie quotidienne est palpable sur grand écran. Lumière jaunâtre des rues de Montréal, étroitesse du premier logis de Maurice, teintes blafardes du vestiaire du Canadien – tout a été soigné dans le moindre détail jusqu’au grain de pellicule vieilli en passant par l’insertion de scènes d’archives dans les évènements quotidiens encadrant la vie du joueur.

Héros malgré lui

«Oui, Maurice Richard est devenu un héros, mais, ça c’est l’affaire du peuple. C’est le peuple qui décide si t’es un héros ou pas.» Dans le long métrage réalisé par Charles Binamé, Roy Dupuis interprète Maurice Richard avec beaucoup de conviction.

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Il n’en n’est certes pas à son premier coup d’essai en la matière. L’acteur avait déjà chaussé les patins du Rocket pour les besoins d’une série télévisée ainsi que pour une capsule des Minutes du patrimoine. Il n’a que très peu réfléchi avant de dire oui à ce nouveau projet.

«Après avoir fait la série télé que j’ai compris l’ampleur du personnage de Maurice Richard, se souvient-il. Je trouvais que son histoire avait une ampleur cinématographique, qu’elle méritait d’être portée sur grand écran.»

C’est lors de la série télévisée consacrée au Rocket que Roy Dupuis a rencontré, en personne, Maurice Richard. Il appréhendait un peu ce moment, l’un des producteurs de la série l’ayant averti que le joueur n’était effectivement pas très loquace.

Mais, «il s’est passé quelque chose. Pendant les deux heures où il m’a reçu chez lui, on n’a pas arrêté de parler. Il est venu par la suite sur le plateau et on est même allés à une game de hockey ensemble.»

Une amitié s’est peu à peu développée entre les deux hommes. «On parlait de tout, de hockey, de bouffe, de sa vie. Je lui posais des questions sur sa carrière, mais je n’essayais pas non plus de l’étouffer avec ça. C’est quelqu’un de très simple, qui n’a jamais essayé d’être traité autrement que comme un citoyen normal. Il a osé dire des choses publiquement à l’époque parce qu’il se sentait une responsabilité, il était conscient de l’importance qu’il avait. Mais de là à assumer le rôle de héros ou de porte-étendard, non je ne crois pas qu’il se percevait de cette façon», justifie l’acteur.

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L’émeute de 1955

Un des événements marquants révélant au grand jour l’adoration du peuple francophone pour Maurice Richard aura été l’émeute de 1955, déclenchée par la suspension du célèbre numéro 9 par Clarence Campbell, président de la Ligue nationale de hockey. Suite à cet incident, le Rocket est exclu du reste de la saison et le mouvement de protestation s’étend dans la rue Ste-Catherine.

Ce sont d’ailleurs des scènes de cette même émeute qui ouvrent et ferment le long métrage, comme une boucle qui serait bouclée, annonçant les jours futurs à saveur de révolte sociale avec, notamment, la Révolution tranquille à venir.

«Après l’émeute, Maurice Richard a déclaré publiquement qu’il n’approuvait pas la façon dont les choses s’étaient passées, explique Roy Dupuis. Moi, je lui ai demandé, si cette émeute ne lui avait pas fait comme une petite vengeance après qu’on l’ai empêché d’écrire, qu’on l’ai empêche de jouer», se remémore l’acteur.

Sur la réponse que Maurice Richard lui a donné, Roy Dupuis restera silencieux. Il sourit d’un air mystérieux, préférant sûrement laisser aux spectateurs le soin de se forger leur propre idée.

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