Le français en dernier à l’ONU

Même quand l'affaire concerne le Canada

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La salle de réunion du Comité des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève en Suisse.
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Publié 21/03/2019 par Gérard Lévesque

Le 24 juillet dernier, dans le dossier de Mme Nell Toussaint, le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) adoptait en anglais des constatations indiquant que le Canada avait violé des obligations contractées lors de son adhésion au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Protocole facultatif de ce dernier.

En date du 20 mars 2019, les versions anglaise, espagnole, arabe, russe et chinoise des constatations adoptées par le Comité sont disponibles sur le site de l’ONU.

Comment l’ONU, qui a six langues officielles, peut-elle publier en anglais, en juillet 2018, un document de 18 pages concernant un dossier canadien, le rendre disponible au cours des mois suivants dans quatre autres langues officielles de l’ONU et ne pas l’avoir encore diffusé en français?

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Jacques Krabal.

Gestionnaires incompétents ?

Cela me semble être un sérieux problème de mise en œuvre d’un aménagement linguistique correspondant adéquatement aux obligations de l’institution internationale, en commençant par son Comité des droits de l’homme (lequel, en passant, devrait adopter le nom Comité des droits de la personne). J’ai invité quelques personnalités à partager un bref commentaire sur cette situation déplorable.

J’ai rejoint au téléphone Jacques Krabal, secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). Il m’assure que son organisme, présidé par François Paradis, député de Lévis et président de l’Assemblée nationale du Québec, va faire en sorte que la langue française retrouve sa place au sein de l’ONU.

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«Nous sommes déterminés à faire respecter les engagements pris dans le passé, notamment lors de l’adoption de résolutions par la Conférence ministérielle de la Francophonie, à Bucarest (Roumanie), en 2006», dit-il. Pour ce faire, il entend se concerter avec Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Mélanie Joly.

Pas la première fois

Mélanie Joly, ministre fédérale du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie m’a confié: «Plusieurs ont exprimé des inquiétudes face à la prédominance de l’anglais. L’ONU doit faire plus pour assurer et respecter ses obligations envers ses autres langues officielles.»

De son côté, Nadine Girault, ministre québécoise des Relations internationales et de la Francophonie, indique: «Parmi les langues officielles dans lesquelles doit travailler l’ONU, il y a effectivement le français. Les organisations internationales doivent respecter leurs engagements et obligations en pratique. Le français devrait donc figurer parmi ces traductions, ce serait un minimum.»

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Nadine Girault.

Surtout quand ça concerne le Canada

Éric Forgues, directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, déclare: «Il y a six langues officielles à l’ONU, donc il faudrait que les locuteurs de ces langues aient accès aux documents dans ces langues au même moment.»

«En ce qui concerne des documents qui portent sur le Canada, il est difficile de comprendre qu’un hispanophone, un arabophone ou un russophone puissent avoir accès à ces documents dans leur langue et pas un francophone. S’il s’agit d’une pratique répandue, il faudrait vraiment s’interroger sur le statut du français à l’ONU et revoir les pratiques.»

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Anne Robineau, directrice adjointe de l’Institut, constate que le texte suivant qui est diffusé sur le site Internet de l’Organisation des Nations Unies: «À l’ONU, il y a six langues officielles: l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe. Assurer l’interprétation et la traduction correctes depuis et vers chacune des six langues officielles, à l’oral comme à l’écrit, est crucial pour les travaux de l’Organisation. Ces services permettent la communication claire et concise de tous sur des questions majeures.»

Éric Forgues
Éric Forgues.

Réponses décevantes

Le 24 juillet dernier, le Comité a demandé au Canada de lui transmettre dans les 180 jours la réponse aux constatations du Comité. Le gouvernement du Canada a émis une réponse officielle le 1er février 2019.

J’ai demandé au Comité à recevoir une copie de la version française de cette réponse. Sans révéler si le Canada a transmis sa réponse en français et en anglais, on m’a indiqué que, puisque je cherche à obtenir un document rédigé par le gouvernement canadien, je devrais faire ma requête à ce gouvernement.

J’ai donc demandé à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, le ministère responsable de ce dossier, de me transmettre la version française du texte de la réponse du gouvernement canadien au Comité.

J’ai reçu par courriel le message suivant: «Nous ne pouvons partager la réponse formelle jusqu’à ce que le Comité confirme que celle-ci a été partagée avec Mme Toussaint. Nous vous suggérons de communiquer directement avec le Comité, qui pourra vous confirmer si la réponse formelle a été partagée avec Mme Toussaint.»

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Anne Robineau.

Le Canada rejette les constatations du Comité de l’ONU

En attendant que je reçoive la version française de la réponse du gouvernement canadien, vous pouvez prendre connaissance de la version anglaise de cette réponse: en 34 paragraphes répartis sur six pages, le Canada rejette les constatations du Comité de l’homme. Je reviendrai sur le sujet lorsque j’aurai, en français, à la fois les constatations du Comité et la réponse du gouvernement canadien.

Entre-temps, le Commissariat aux langues officielles a ouvert une enquête pour déterminer si un ministère a manqué à ses obligations linguistiques envers les Canadiens d’expression française et les médias de langue française.

Pour ma part, je souligne que, lorsque j’ai rencontré mon député fédéral d’Etobicoke-Lakeshore, James Maloney, le 5 octobre dernier, je n’avais pas de version authentique française des constatations du Comité à lui remettre. Mais il était fier de m’informer qu’il suivait des cours de français afin de pouvoir mieux communiquer avec ses électeurs de langue française.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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