Le film The Social Network sur la mystérieuse vie des «geeks»

Caricature ou incompréhension?

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Publié 26/10/2010 par Guillaume Garcia

25 milliards de dollars, voilà ce que vaut aujourd’hui Facebook, le réseau social lancé par Mark Zuckerberg et ses amis en 2004. 500 millions d’utilisateurs dans le monde possèdent une page Facebook et ce nombre ne cesse de s’accroître chaque jour. Milliardaire, le plus jeune de l’histoire, Mark Zuckerberg devait un jour voir un film retracer son ascension et celle de Facebook. C’est désormais fait avec The Social Network de David Fincher. Si le film montre bien le surprenant destin d’une bande d’amis, il manque la coche sur l’explication du phénomène.

Disons-le tout de suite, The Social Network est un film divertissant, sur l’histoire incroyable d’un jeune surdoué de Harvard qui met son talent et ses idées au service de la communauté. Le seul problème du film vient de sa manière de peindre Mark Zuckerberg et ce qu’est Facebook et plus largement Internet.

Le cinéma n’est pas le premier «ancien média» à s’attaquer à Internet, la presse l’a fait bien avant lui. Pour eux le constat s’avère très simple, – simpliste? – Internet reste une affaire de geeks, nerds appelez les comme vous voulez, scotchés derrière leurs écrans à retranscrire des lignes de codes, loin de toute socialisation.

The Antisocial Movie?

Jeff Jarvis, spécialiste de l’Internet et auteur du désormais célèbre What Would Google Do s’est penché sur les problèmes soulevés par le film et en ressort que: «Oui c’est divertissant, dans le mauvais sens du terme, aussi divertissant que regarder les sorcières se faire mettre au pilori devait l’être. Pour The Social Network, les geeks et les entrepreneurs (de l’Internet, ndlr) sont aussi mystérieux et effrayants que les sorcières.»

Aaron Sorkin, l’auteur du film ne s’en cache pas, il ne connaît pas grand chose sinon rien à Facebook: «J’ai entendu parler de Facebook comme j’ai entendu parler d’un carburateur. Mais si j’ouvre le capot de ma voiture, je ne saurais pas où le trouver». Alors, on met du cliché à la «en veux-tu en voilà», Zuckerberg est dépeint comme un geek, planté devant son écran, sans amis, sans socialibilité, qui vit dans une chambre noire (sa piaule d’étudiant de Harvard) et s’avère incapable d’avoir une petite amie.

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Comme le souligne Jeff Jarvis, le film raconte l’histoire de Facebook, mais ne pose jamais la question pourquoi? Pourquoi Facebook? Il y a bien une tentative d’explication dans le film.

On veut toujours en savoir plus sur les gens que l’on connaît, quitte à violer leur vie privée. Le petit frère de Facebook s’appelait Facemash et proposait aux étudiants de voter pour la fille la plus «sexy» du campus. Zuckerberg tient cette réflexion dans le film: «Ils n’ont pas été sur le site trouver des photos de filles chaudes, ils peuvent le faire partout sur Internet, ils y sont allés parce que c’était des filles qu’ils connaissaient».

Cette vision de ce que peut proposer Internet comme réseau social, ne ressort que trop peu dans le film. Zuckerberg ressemble à un pauvre étudiant, sans vie, sans intérêt pour l’argent, sans humour, limite autiste, frustré de ne pas rentrer dans les clubs élite de Harvard.

Le fait est que les auteurs du film n’ont pas eu accès à Zuckerberg pour écrire leur histoire et les rares journalistes qui ont déjà rencontré ce milliardaire par accident, comme le nom de cette biographie non-autorisée sur Mark Zuckerberg dont le film est inspiré, réfutent ce portrait.

Le film n’aborde à aucun moment la question, mais pourquoi ça marche?

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Une tragédie grecque

Le film retranscrit bien les rancœurs et les trahisons liées à la création d’un bébé qui vaut maintenant des milliards de dollars.

Les Américains, si prompts à simplement expliquer ce genre d’histoire comme étant du «business», assistent dans ce film à des scènes quasi tragiques où Zuckerberg tire la couverture de son côté, délaissant ses «amis» et associés.

Deux procès rythment le cours du film, celui contre les jumeaux Winklevoss et celui contre le co-fondateur de Facebook Eduardo Saverin. Les jumeaux, ayant appris le tour de force de Zuckerberg avec Facemash (condamné par Harvard pour violation de la vie privée) lui proposent de programmer un réseau social réservé à Harvard et à ceux qui ont une adresse en Harvard.edu, parce que «les filles veulent des mecs qui ont une adresse en Harvard.edu».

Zuckerberg accepte sans en voir vraiment l’intérêt, mais se lance finalement dans son réseau social, avec une vision beaucoup plus grande. Les frères, issus d’une famille riche, représentent l’élitisme des clubs privés contre la vision d’un réseau social ouvert, que Zuckerberg met en place. Se sentant floués, ils portent plainte et obtiendront, comme le film le mentionne, 65 millions $ de la part de Facebook.

Mais le fil rouge du film reste l’amitié brisée entre Zuckerberg et Saverin. Décris comme des grands amis par le film, il semble que dans la réalité ils aient plutôt été des partenaires sur le projet Facebook.

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Saverin a tenté de monétariser Facebook rapidement, par la pub, allant à l’encontre de l’idée de Zuckerberg qui voulait que cela reste une chose «cool», qui devait d’abord se construire avant de rapporter de l’argent.

Il est appuyé dans sa démarche par Sean Parker, co-fondateur de Napster, qui vient se joindre au projet. Parker, joué par Justin Timberlake (très bon d’ailleurs) voit sa réputation salie par le film (un groupe Facebook a été crée pour le défendre), qui le fait passer pour un jeune dévergondé, drogué et lubrique.

À l’arrivée, Saverin signera son arrêt de mort en signant les premiers contrats de Facebook et sera évincé après le déménagement de la firme à Palo Alto en Californie. Après le procès, un arrangement a été trouvé entre Facebook et Saverin dont le montant n’a pas été divulgué. Saverin voit également son nom réapparaître comme co-fondateur du réseau social.

Riche et célèbre, mais toujours seul?

Comme le note Jeff Jarvis, non sans une pointe d’ironie, il est amusant que le Zuckerberg ressemble dans le film à un être sans vie sociale et sans amis! Sa page Facebook indique que plus d’un million d’utilisateurs «aiment» sa page Facebook.

Il défendait encore sa vision d’un monde plus ouvert très récemment sur sa page en écrivant: «Our mission is to give people the power to share and make the world more open and connected». Le film ne s’intéresse malheureusement pas à ce côté de Zuckerberg qui croit véritablement à l’échange total à l’échelle mondiale.

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L’intéressé a réagi au film en ces termes: «C’est un film, c’est sympa, mais je vous promets, c’est ma vie, donc je sais que ce n’est pas si dramatique».

La réalité ne fait pas forcément de belles histoires, il fallait sans doute caricaturer un peu et donner aux gens ce qu’on pense qu’ils attendent d’un tel film.

Des lignes de codes, des amitiés brisées, de la réussite à l’américaine et un poil de sexe. L’auteur du film le reconnaît lui-même: «I don’t want my fidelity to be to the truth; I want it to be to storytelling.» On aura compris.

N’empêche que si Facebook était un pays il ne serait rien de moins que le troisième pays le plus peuplé du monde…

Pour finir sur une anecdote, il y a quelques jours dans un streetcar de Toronto (une des villes les plus connectées sur Facebook du monde): un jeune homme rencontre par hasard une de ses vieilles connaissances du secondaire. Ils se parlent quelques minutes quand arrive pour lui le moment de descendre. Arrivé à la porte, il lance à son amie «Facebook», pour lui signifier de reprendre contact par ce biais.

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Voilà ce qu’est devenu Facebook et répond enfin à ce fameux «Pourquoi?» que le film ne pose pas.

Auteur

  • Guillaume Garcia

    Petit, il voulait devenir Tintin: le toupet dans le vent, les pantalons retroussés, son appareil photo en bandoulière; il ne manquait que Milou! Il est devenu journaliste, passionné de politique, de culture et de sports.

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