Le droit peut-il empêcher la justice?

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 11/05/2010 par Paul-François Sylvestre

Journaliste, essayiste et romancier, Gil Courtemanche a publié Un dimanche à la piscine à Kigali en 2000. Ce roman a été traduit dans plus de vingt langues et a fait l’objet d’un film. Son second roman, Une belle mort, sera lui aussi porté à l’écran bientôt. Et maintenant, Courtemanche nous livre un troisième roman bouleversant Le monde, le lézard et moi qui nous plonge dans un milieu où règne le droit de l’absence de droit.

Le monde, le lézard et moi met en scène un Montréalais de 35 ans, Claude, qui est analyste au bureau du procureur à la Cour pénale internationale de La Haye.

Il contribue par ses recherches à instruire un procès criminel contre Thomas Kabanga, un chef de guerre congolais qui embrigade des enfants pour en faire des tueurs, des violeurs. Jusqu’au jour où ce Kabanga est relâché à cause d’un vice de procédure et renvoyé dans son pays.

Claude croit en la justice et voudrait que le vol de la santé des autres soit inscrit dans la liste des crimes contre l’humanité. Tel n’est pas le cas. Il démissionne de la Cour pénale et entreprend de traquer l’homme dont il sait la culpabilité.

Ce rêve de justice qui l’obsède depuis l’enfance, il a décidé de le réaliser dans l’action, à Bunia, au Congo. Mais une fois qu’il aura rencontré ces êtres de chair et de sang, bourreaux ou enfants soldats, que restera-t-il de ses idéaux…?

Publicité

D’un chapitre à l’autre, chacun ciselé avec brio, le lecteur apprend que Claude a quitté la Cour pénale internationale parce que la règle de droit empêchait la justice. Le protagoniste du roman veut donner droit de cité aux enfants soldats.

Toutes les études qu’il a lues expliquent que «la très grande majorité des enfants soldats sont irrémédiablement rejetés par la vie normale, qu’ils ne parviennent pas à renouer avec l’enfance, qu’ils avancent dans la vie comme dans une sorte de no man’s land. Jamais enfant, jamais adulte. Le passé subtilisé, l’avenir interdit.»

L’enfant soldat transporte son enfance violée dans sa vie adulte, au point de devenir «une personne schizophrénique qui ne connaît que la violence comme mode d’expression».

Le style de Courtemanche est celui d’un auteur qui a beaucoup voyagé. Il écrit, par exemple, que Claude a fait une cour idiote à une Chinoise qui vendait des produits italiens. Elle a ignoré cette cour «comme le gouvernement chinois fait mine de ne rien comprendre aux droits de la personne».

Le romancier laisse parfois tomber des phrases presque assassines. Exemples: «la paix, ça ne nourrit pas son homme»; «la Cour bafouait la justice au nom du droit»; «la vraie vie est une maladie mortelle transmise sexuellement par l’homme».

Publicité

L’auteur parle de la Hollande et des Hollandais, mais on devine qu’il s’agit des Pays-Bas et des Néerlandais. La Hollande n’est pas un pays; c’est le nom donné à deux des douze provinces néerlandaises: Hollande méridionale et Hollande septentrionale. Courtemanche n’est pas tendre à l’endroit des Néerlandais.

Il dit que ces derniers ressemblent à leur climat: «vents en bourrasques violentes, pluies soudaines, bruines persistantes, grisaille et, parfois, soleil, ce qui ne les rend ni plus joyeux ni plus souriants.»

Cette description imagée suffirait à donner le ton, mais Courtemanche en rajoute. «Le sourire hollandais n’existe pas[…] pas plus que l’hospitalité hollandaise. […] La Hollande est le plus civilisé des pays barbares.» Claude se demande comment il a pu y passer trois ans.

«Il faut être mort ou hollandais pour vivre ici.» Verdict implacable (verdict inapproprié, à mon avis). Et voici la cerise sur le sundae: «Les Hollandais sont vulgaires et dépourvus de goût, mais ils inventent les plus belles fleurs du monde, allez comprendre.»

Le monde, le lézard et moi est aussi un roman sur les relations humaines, sur le couple. Claude n’a pas réussi son aventure matrimoniale au Québec. Il qualifie ses aventures «amoureuses» d’erreurs sexuelles. Canada, Pays-Bas, Congo, c’est toujours le même constat: «Ma vie avec les humains n’est qu’une suite remarquable d’erreurs. Je suis incapable d’aimer ou j’ignore le mode d’emploi. Mais le résultat est le même. Je suis seul et je n’aurai jamais de chez-moi.»

Publicité

Dans ce troisième roman, Gil Courtemanche s’avère être un styliste hors pair, trouvant toujours le mot, le rythme, la couleur exacte, cet équilibre entre détachement et compassion qui nous permettent de partager avec ses personnages leurs moindres émotions.

Gil Courtemanche, Le monde, le lézard et moi, roman, Montréal, Éditions du Boréal, 2009, 232 p., 22,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur