Le cinéma iranien vu par ses créateurs

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 03/03/2015 par Janine Messadié

Le cinéma iranien rythme très souvent l’actualité, tant sur le plan artistique que politique. En témoigne le succès de plusieurs films, dont Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami (Plame d’or 1997), Un temps pour l’ivresse des chevaux de Bahman Ghobadi (Caméra d’Or en 2000), Une séparation d’Asghar Farhadi (Ours d’or à Berlin, Cesar à Paris, Oscar du meilleur film étranger 2012), et tout récemment encore prix de la critique internationale (Fipresci) et Ours d’or pour Taxi de Jafar Panahi, cinéaste dissident condamné en 2010 à six ans de prison pour «propagande» contre le régime de Mahmoud Ahmadinejad.

Libéré sous caution, mais assigné à résidence et interdit de voyage, Panahi a tourné sous le manteau ce nouveau film ludique, dans lequel il joue un chauffeur de taxi dont les clients se font miroirs de la société iranienne. Son œuvre est aussi interdite de diffusion en République islamique.

C’est dans ce contexte religieux et politique restrictif que le cinéma iranien s’est taillé une place à part dans le paysage cinématographique mondial, par une approche unique qui n’aurait pas pu naître ailleurs que dans le contexte de l’Iran.

Les réalisateurs iraniens, surveillés par la censure, ont développé un langage très personnel pour décrire la réalité et la complexité de leur pays et parler des gens qui y vivent, créant un cinéma d’images et de symboles, empreint de poésie et d’humanisme.

Pour découvrir tous les chefs-d’œuvre qui ont jalonné l’histoire de l’Iran – pays pionnier en matière de cinéma – et comprendre comment ce cinéma a évolué dans un contexte d’interdits, la cinémathèque du TIFF Bell Lightbox propose du 5 mars au 4 avril, la série I for Iran: A History of Iranian Cinema by its Creators.

Publicité

Genèse

En 2014, Thierry Jobin, le directeur artistique du Festival international du film de Fribourg (Suisse), invite et demande à 14 des plus grands réalisateurs iraniens, d’établir une liste des meilleurs films de leur cinématographie, pour la 28e édition de son festival. En résulte un programme tellement exceptionnel qu’il fut repris par le Festival international du film d’Édimbourg en juin 2014, et par la cinémathèque du TIFF!

En entrevue à L’Express, le directeur de la cinémathèque du TIFF, Brad Deane, insiste sur la force de ce cinéma. «L’Iran a produit l’un des cinémas nationaux les plus distingués dans le monde, mais il a longtemps été l’un des plus difficiles à voir.»

«Souffrant d’un manque de distribution à l’échelle internationale et soumis à la censure politique et religieuse», explique-t-il, «les classiques du cinéma iranien ne sont disponibles en Amérique du Nord, que dans bootlegs de faible qualité, ou via des téléchargements sur internet.»

Cette situation a vite fait de reléguer dans l’oubli la riche histoire cinématographique de l’Iran.

Cette série vise à montrer «ces classiques, et tout à la fois le dynamisme et la force du cinéma iranien, en essor permanent malgré les multiples obstacles et restrictions auxquels il a dû faire face».

Publicité

«Les réalisateurs iraniens ont créé des œuvres fertiles, en cernant les moyens qui leur étaient offerts et les ont utilisés d’une manière sincère pour dire la réalité de leur pays, et installer une sorte de dialogue avec le spectateur.»

«C’est l’un des aspects du cinéma iranien, il invite le spectateur à participer de manière créative pour donner un sens à l’œuvre qui défile sous ses yeux, donnant ainsi lieu à différentes interprétations. C’est aussi un cinéma qui, par sa dimension métaphorique, continue de mettre en valeur ses traditions littéraires et artistiques persanes.»

De 1930 à nos jours

Avec un programme de 15 longs métrages, 3 courts métrages et des invités de marque, I for Iran propose de le découvrir jusqu’aux racines le cinéma iranien.

Outre la chance de voir ou de revoir les œuvres primées des cinéastes mondialement reconnus, tels Gabbeh de Mohsen Makhmalbaf (1996), Une séparation de Asghar Farhadi (2011), et trois chefs-d’œuvre du grand Abbas Kiarostami, dont Close-up (1990), nous découvrirons l’un des plus importants films de l’histoire de l’Iran, Still Life (Tabiate bijan) de Sohrab Shahid-Saless (1974), et Le jardin de pierre (Baghe sangui) de Parviz Kimiavi (1976), où se mêlent poésie et histoire.

Nous verrons aussi le film muet Haji Agha (Avi va Rabi), réalisé en 1933 par Ovanes Oganians, une des premières productions cinématographiques de l’Iran, ainsi que quelques films farsi (film-e fârsi), un genre qui a dominé les années 1950.

Publicité

Également au programme: des films de la Nouvelle Vague iranienne. Ce mouvement débute en 1969 avec le long métrage Gaav (La vache) de Dariush Mehrjui, film qui rappelle le néoréalisme italien et pose diverses questions sociales et politiques, en plein régime du Shah.

Le film de Mehrjui, première collaboration avec l’écrivain engagé Gholam-Hossein Sa’edi, va initier une période de dynamisme culturel et intellectuel du cinéma iranien.

Avec la révolution iranienne de 1979, et l’avènement du régime islamique, de nouvelles contraintes imposées aux réalisateurs vont influencer le cinéma iranien tout au long des années 1980. Ce sont aussi des années marquées par la guerre Iran-Irak (1980-1988). C’est la période de la deuxième Nouvelle Vague, et elle s’étendra jusque dans les années 1990.

Parmi les grands cinéastes de cette période, Amir Nâderi, réalisateur de Davandeh (Le coureur). Dans ce film magnifique tourné en 1985, c’est par le visage d’un jeune garçon au regard inquiet et au sourire radieux, appelé Amiro (Majid Niroumand), que Nâderi nous fait accéder à la réalité sociale de son pays. Le visage de cet enfant devient ainsi un territoire, où se lit le social, mais aussi la vie, la survie. C’est un film autobiographique ou tout du moins qui reprend des parties de l’enfance du réalisateur.

De conclure Brad Deane, «le cinéma iranien est un cinéma à la fois politiquement engagé malgré la censure politique, socialement conscient malgré les restrictions de la société, possédant ses codes, ses références, son esthétique, sa dimension métaphorique. Un cinéma glissant entre fiction et documentaire né, non pas en dépit de la censure mais à cause d’elle. Cette série présente des films extraordinaires réalisés par des cinéastes tout aussi extraordinaires, et donne à notre public de cinéphiles, une chance unique de comprendre la portée et la richesse du cinéma iranien.»

Publicité

http://www.tiff.net/winter2015-cinematheque/i-for-iran-a-history-of-iranian-cinema-by-its-creators

Auteur

  • Janine Messadié

    Communicatrice d'une grande polyvalence. 30 ans de journalisme et de présence sur les ondes de Radio-Canada et diverses stations privées de radio et de télévision du Québec et de l’Ontario français. Écrit depuis toujours...

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur