L’auto-autochtonisation… Quand l’ascendance autochtone est détournée

identité autochtone, Darryl Leroux
Darryl Leroux et son essai «Ascendance détournée: Quand les Blancs revendiquent une identité autochtone», publié chez Prise de parole.
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Publié 04/05/2023 par Marie-Lou Bernatchez

«Il y a de plus en plus de personnes blanches qui s’identifient comme Autochtones, sans avoir de reconnaissance officielle», avance le professeur de sociologie Darryl Leroux, de l’Université d’Ottawa.

Ce mouvement serait davantage populaire au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et sur la côte est des États-Unis. «L’Ouest canadien n’est pas épargné», dit-il, «mais c’est plus rare, entre autres dû à la forte présence des Premières Nations.»

Darryl Leroux travaille sur les dynamiques du racisme et du colonialisme depuis près de vingt ans.

Le 4 avril dernier à la Rotonde de la Cité universitaire francophone, un campus de l’Université de Regina, il a lancé son livre Ascendance détournée: quand les Blancs revendiquent une identité autochtone.

Abordant les enjeux de l’appropriation de l’identité métisse et autochtone, l’universitaire a ainsi décrypté le concept d’auto-autochtonisation.

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Une ascendance détournée

Selon le chercheur, plus de 10 millions de personnes au Canada ont un ancêtre lointain autochtone. «On parle de lignées très lointaines, d’environ dix générations.»

Darryl Leroux a retenu trois mécanismes distincts que les personnes blanches utilisent pour retrouver des ancêtres qui seraient autochtones.

«Le premier mécanisme, le plus utilisé, est celui d’ascendance linéaire, c’est-à-dire lorsque tu cherches les parents de tes parents et de tes grands-parents, etc., dans une lignée généalogique.»

L’ascendance ambitieuse est la deuxième technique utilisée. «Encore une fois, tu remontes dans le passé, mais ce qui est différent et intéressant c’est que l’ancêtre revendiqué est un ancêtre européen… dont l’identité est transformée pour être autochtone.»

Le dernier mécanisme est celui de l’ascendance latérale. «On commence en linéaire, puis on bifurque vers la droite ou la gauche pour, par exemple, affirmer que le petit cousin était marié à la tante de Louis Riel. C’est une technique assez créative… Et si vous pensez que j’exagère, j’ai vu des exemples de revendications assez créatifs.»

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Des données qui ne collent pas

Le professeur explore plusieurs forums de généalogie pour identifier les mécanismes individuels de l’auto-autochtonisation.

«Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que ce sont presque toujours les mêmes femmes qui sont revendiquées, et pour plusieurs identités. Une même personne peut être utilisée pour revendiquer une identité métisse, algonquine, innue, etc.»

Les quatre femmes qui ressortent le plus dans les forums de généalogie portent les noms de Marie Sylvestre, Marie Miteouamegoukwe, Marguerite Pigarouiche ou «Femme nipissing», toutes nées entre 1600 et 1650.

« J’ai estimé que Marie Sylvestre aurait environ 2 millions de descendants, et que ces quatre femmes ensemble en auraient environ 3 à 4 millions. Ce qui veut dire que des millions de personnes pourraient se revendiquer Autochtones aujourd’hui au Canada, si on suit cette logique, avec ces quatre femmes seulement», ponctue le chercheur.

Pourquoi s’auto-autochtoniser?

«C’est étrange, car on ne voit pas de gens qui revendiquent avoir des racines anglaises, donc ça nous parle de la tendance politique du moment», exprime Darryl Leroux.

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Toujours selon l’auteur du livre Ascendance détournée, qui deviendra professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa au mois de mai, il y aurait un mouvement de chasseurs et de pêcheurs qui s’auto-autochtonisent.

«Il semble y avoir des stratégies politiques pour s’opposer à des recours territoriaux des Premières Nations», entrevoit-il au vu de ses analyses de procédures judiciaires entamées par des associations dites métisses qui visent des droits de chasse et pêche sur divers territoires. «Et cela même au détriment des autres groupes autochtones déjà présents», ajoute-t-il.

Le chercheur rappelle que, peu importe la motivation, lorsqu’une personne change son identit,é c’est qu’elle est à la recherche d’un avantage quelconque: monétaire, social, ou culturel.

«Il y a aussi un petit pourcentage de ces gens qui croit honorer ses ancêtres et qui pense qu’il est en train de faire une bonne chose», regrette le conférencier.

Malgré tout, ce mouvement qui prend de l’ampleur ne connaîtrait pas souvent de dénouements positifs auprès des instances gouvernementales.

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«Ce n’est pas un mouvement qui fonctionne bien», se félicite Darryl Leroux. «Pour le moment, les procédures judiciaires des organismes et individus qui revendiquent une soudaine identité métisse ou autochtone ont toutes échoué.»

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