La Passerelle pas transparente? «C’est permis»

Léonie Tchatat affirme avoir respecté la loi et livré des vrais services

La fondatrice et directrice générale de La Passerelle I.D.É., Léonie Tchatat. (Photos: Léa Giandomenico)
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Publié 24/04/2019 par François Bergeron

Des assemblées générales annuelles à huis clos; un conseil d’administration qui ne se réunit qu’une fois par année; le comptable marié à la directrice… Rien de tout cela n’est interdit par la loi qui régit les organismes à but non lucratif (OBNL) comme La Passerelle I.D.É., se défend la fondatrice Léonie Tchatat en entrevue à L’Express.

«J’ai créé La Passerelle il y a 25 ans avec mon mari (Guy Taffo) qui m’a toujours accompagnée et épaulée. Ce n’est pas illégal. Nous en sommes fiers», a-t-elle dit le 18 avril lors d’une rencontre avec L’Express dans ses bureaux de la rue Carlton.

Ses propres statuts et règlements

Le rapport annuel introuvable dans le site web; les membres du CA dont les noms n’apparaissent nulle part… «C’est permis» aussi.

Les lois fédérale et provinciale actuelles obligent surtout les OBNL à se doter de statuts et règlements et à les respecter. Mais elles restent vagues quant aux règles de transparence à consigner dans ces statuts et règlements.

Cela étonne des dirigeants d’organismes franco-torontois contactés par L’Express, qui annoncent d’avance la tenue de leurs assemblées annuelles, ouvertes au public, dont on peut devenir membres, dont les administrateurs sont connus et dont les rapports et états financiers sont publiés dans leur site web.

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Selon ces dirigeants, l’octroi du financement public tient compte de la bonne gouvernance et des bonnes pratiques d’un organisme. En réalité, ce serait plus informel qu’on pense.

Les bailleurs de fonds tiennent surtout à ce qu’on leur remette les documents demandés (liste de membres et d’administrateurs, procès-verbaux d’assemblée, états financiers, etc.), et à ce que leur nom ou logo paraisse dans la promotion des activités qu’ils financent. La transparence envers le grand public serait secondaire.

Intégration des immigrants

Le rapport annuel de La Passerelle n’est pas secret. Il est envoyé par courriel à quiconque en fait la demande.

On y trouve surtout une description de ses programmes et du nombre de participants (plus de 2200 l’an dernier, photos à l’appui), mais aussi un état des revenus et des dépenses (plus de 2,2 millions $), ainsi qu’un message conjoint de la directrice générale Léonie Tchatat et de la présidente Farah Ghorbel.

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«En 2017-2018», y lit-on, «La Passerelle-I.D.É. a continué à investir là où ça compte. (…) Nous avons oeuvré au développement des compétences et des connaissances chez les talents francophones de tout horizon, avec une emphase sur la diversité et l’inclusion, tant pour l’emploi que pour l’entrepreneuriat.»

C’est l’intégration réussie des immigrants francophones à Toronto et en Ontario qui est la mission première de l’organisme.

Léonie Tchatat le réaffirme à L’Express: «Nous livrons des vrais services; nous créons des emplois; nos résultats parlent d’eux-mêmes.»

Léonie Tchatat en entrevue avec François Bergeron le jeudi 18 avril.

Diffamation

Dans ce rapport annuel 2017-18, aucune mention n’est faite du programme Sans visage d’1,5 million $ sur cinq ans, décrit par le Toronto Star, le 7 avril, comme un projet pour sortir des femmes de la prostitution qui n’aurait organisé qu’un déjeuner avec des femmes sans lien avec la prostitution.

Le projet a débuté le 1er avril 2017. Il était donc encore «dans sa phase de démarrage» dans la période couverte par le rapport.

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La Passerelle a retenu les services de l’avocat Peter A. Downard (Fasken Martineau DuMoulin LLP) pour poursuivre le Star en diffamation, accusant le grand quotidien torontois d’avoir «intentionnellement déformé la nature, l’objectif et le contenu du programme Sans visage» pour lequel La Passerelle aurait déjà reçu près de la moitié du financement.

Léonie Tchatat précise à L’Express que l’intention du ministère fédéral de la Sécurité publique était bien de sortir des femmes de la prostitution, «mais nous avons fait valoir que sa définition de prostitution n’était pas suffisamment inclusive; nous leur avons soumis une approche originale»: l’aide aux femmes vulnérables, en situation précaire, à risque de tomber dans la prostitution. Cette aide peut venir, entre autres, de la rencontre de ces femmes avec des mentors et des modèles de succès.

«L’originalité» dans l’aide aux immigrants francophones, par rapport à des organisations plus traditionnelles, voilà justement la marque de commerce de La Passerelle, selon la directrice générale.

Charité Léo

Le lendemain 19 avril, au micro de l’émission matinale de Radio-Canada à Toronto, Léonie Tchatat a répété qu’elle est injustement accusée de mal dépenser les subventions accordées à La Passerelle et à sa Charité Léo.

Elle reproche à Radio-Canada d’avoir laissé entendre que Charité Léo, un organisme caritatif fondé il y a trois ans, a reçu 210 000 $ en «dons» et a presque tout dépensé en «frais administratifs». Il s’agirait plutôt de services commandés à La Passerelle par Charité Léo, grâce à des subventions obtenues pour des projets précis.

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De fait, il n’est pas rare que des OBNL, et même des entreprises privées, qui ne recevraient pas certains financements autrement, créent des fondations charitables qui retiendront éventuellement leurs services pour certains projets.

Une annonce pour une activité de la Charité Léo, dont la logistique a été confiée à La Passerelle.

«Un moment révélateur»

«Est-ce que j’aurais été traînée dans la boue et critiquée de cette façon si j’étais une femme blanche dirigeant un organisme franco-ontarien traditionnel?», demande Léonie Tchatat. «Est-ce que le Star aurait parlé de ma vie personnelle si j’étais blanche?» Elle ne le croit pas.

Elle se montre également déçue du peu d’appui qu’elle a reçue de la communauté franco-ontarienne depuis que quelques ex-employés ont coulé les informations qui ont mené au premier article sur la distribution à des amis et employés de billets de spectacles destinés à des enfants de familles démunies, puis à l’article sur Sans visage qui a mis le feu aux poudres.

Elle, son mari et ses deux fils de 14 et 10 ans ont été insultés et exposés au danger, dit-elle.

«C’est un moment révélateur pour la francophonie ontarienne. Va-t-on respecter mes 25 ans de contribution au développement de la communauté et m’accorder le bénéfice du doute avant de me crucifier?»

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Une annonce pour un événement de La Passerelle associé au projet Sans Visage, financé par le ministère fédéral de la Sécurité publique.

Des appuis

Quelques voix s’élèvent pour appeler à la prudence et à la patience. C’est le cas d’une Coalition des Noirs Francophones de l’Ontario, basée à Ottawa, qui «s’inquiète de la gravité des allégations relatées dans les colonnes des médias contre une structure reconnue depuis plus de deux décennies pour son importance et la qualité de ses services à des milliers de francophones de toute origine».

Félix Saint-Denis, producteur du mégaspectacle L’Écho d’un peuple, dans l’Est ontarien, écrit sur Facebook qu’il ne voit pas de «racisme» ici, mais plutôt «un processus d’enquête à la fois très ingrat mais nécessaire».

«SVP garde confiance en ta grande famille franco-ontarienne», demande-t-il directement à Léonie Tchatat. «J’invite les gens qui ont toujours applaudi les initiatives de La Passerelle à être patients, à ne pas condamner et à continuer d’encourager cet organisme qui a changé la vie de milliers de nouveaux arrivants francos et de familles.»

Les activités continuent

L’équipe de La Passerelle, composée d’une dizaine de personnes, reste «une famille unie» malgré la tourmente des dernières semaines, assure Léonie Tchatat. Les activités prévues s’y poursuivent.

Dans une infolettre le 23 avril, elle dit attendre «avec impatience la confirmation, et la justification d’une bonne gouvernance de La Passerelle-I.D.É. (…) Nous espérons que, grâce à ce processus, La Passerelle-I.D.É. sera renforcée et continuera à fournir des services de développement économique et social indispensables dans la communauté.»

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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