La juge Michelle O’Bonsawin à la Cour suprême, «impartiale» avant tout

Juge O’Bonsawin Cour suprême
La nouvelle juge de la Cour suprême, Michelle O’Bonsawin, nommée au mois d'août par le premier ministre Justin Trudeau. Photo: Mélanie Tremblay, Francopresse
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Publié 01/10/2022 par Inès Lombardo

Un mois après sa nomination par le premier ministre Trudeau et à peine 20 jours après avoir prêté serment, la nouvelle juge à la Cour suprême du Canada, Michelle O’Bonsawin, semble garder la tête froide.

La première juge autochtone au plus haut tribunal canadien a choisi d’accorder sa première entrevue officielle à Francopresse. Elle s’est livrée sans ambages sur son nouveau rôle et son rapport au droit, à sa Nation et à la francophonie.

Plumes d’aigle reçues lors de sa prestation de serment et œuvres d’art réalisées par son fils aîné sont exposées çà et là dans le bureau de la nouvelle juge Michelle O’Bonsawin. Ce décor, à la fois élégant et intime, témoigne d’une nouvelle ère à la Cour suprême. La juge succède ainsi au juge unilingue anglophone Michael J. Moldaver, parti à la retraite.

Juge O’Bonsawin Cour suprême
Des tableaux, comme celui de droite signé par le fils ainé de la juge, Yanick, décorent fièrement le petit coin salon de son bureau. Photo: Mélanie Tremblay, Francopresse

Posément assise sur l’un des fauteuils fleuris de son nouveau bureau, celle qui était juge à la Cour supérieure de justice de l’Ontario un mois auparavant arbore un léger sourire lorsqu’on lui demande comment elle va.

«C’est très mouvementé, puisque j’ai été assermentée le 1er septembre. Il y a eu une grande préparation pour un déplacement à Québec la semaine passée, puis nous avons siégé mercredi et jeudi passés. C’est différent d’arriver comme première juge et de ne pas siéger tout de suite à Ottawa», décrit-elle.

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Sa nomination a été accueillie avec enthousiasme au pays, y compris par le comité non partisan de parlementaires chargé de passer en revue les candidatures de juristes bilingues pour soumettre une liste restreinte au premier ministre, le 24 août dernier.

«En vous écoutant, je trouve que vous êtes à la fois ordinaire et extraordinaire», lui avait glissé l’ancien premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard, Wade MacLauchlan, président de ce comité et visiblement impressionné par les réponses de la juge O’Bonsawin.

Être juge et autochtone, c’est être «juge en premier lieu»

Sa nomination correspond au contexte de réconciliation avec les peuples autochtones du Canada que promeut le gouvernement Trudeau.

Par son père, Michelle O’Bonsawin est Abénakise de la Nation d’Odanak, au Québec, mais elle est née et a grandi dans la communauté francophone de Hanmer, près de Sudbury en Ontario.

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Fière de ses origines, elle raconte que vers ses 10 ans, les liens se sont resserrés entre sa famille de Sudbury et sa famille d’origine à Odanak..

Son arrière-grand-père paternel a quitté Odanak pour travailler dans le Nord de l’Ontario avec son frère. Après leur arrivée à Sudbury, les prêtres ont changé leur nom de «Obomsawin» en «O’Bonsawin». «Mais c’est la même famille qui est reliée à Odanak», confirme la juge.

Juge O’Bonsawin Cour suprême
Un poisson jaune en verre, réalisé par Yanick, le fils de la juge, trône sur le meuble derrière son bureau. À côté se trouve un panier tressé, l’un des savoir-faire de la Nation d’Odanak. Photo: Mélanie Tremblay, Francopresse

Elle continue d’entretenir des liens avec sa Nation, où elle se rend à l’occasion de rencontres de famille et «lors des pow-wow». Lors du confinement imposé par la pandémie, la juge a profité «du temps pour [elle]» pour apprendre sérieusement la langue abénakise, «deux heures, trois jours par semaine», déclare-t-elle, fièrement.

Les discussions et l’éducation avant tout

Sombrement, elle raconte que son père se «faisait traiter de “petit sauvage” lorsqu’il était jeune» à Hanmer, un préjugé qui n’est pas cantonné à cette époque.

Il y a quelques années seulement, Michelle O’Bonsawin siégeait en tant que juge alors qu’un avocat l’a qualifiée en pleine audience de «Pocahontas du Nord». Une insulte qu’elle a encaissée, le temps d’expliquer pourquoi ce comportement est inacceptable à la firme d’avocats en question et ses enfants.

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«Sans discussion, rien ne va changer, soutient-elle calmement. Lorsque je suis rentrée le soir, j’ai aussi expliqué ce qui s’était passé à mes enfants. Mon plus jeune fils était vraiment choqué. Le plus vieux, ça lui a fait de la peine. C’était deux réactions très fortes», se remémore-t-elle.

«L’éducation est la clé», répète Michelle O’Bonsawin depuis sa nomination, notamment dans un contexte où la justice canadienne a créé des tensions continues avec les peuples autochtones. La juge affirme que le lien qu’entretiennent les peuples autochtones avec le droit est «très important».

«La Loi sur les Autochtones les influence de jour en jour. Par exemple, à Odanak, ça influence la bande et qui fera partie des différentes nations. Par la suite, il y a des revendications […] qui mènent devant les tribunaux. [Cette loi] a un grand impact, ça continue au quotidien», se hasarde-t-elle prudemment.

Juge O’Bonsawin Cour suprême
Plumes d’aigle perlées, un cadeau fait à la juge lors de sa prestation de serment à la Cour suprême, le 1er septembre dernier. Photo: Mélanie Tremblay, Francopresse

Le bilinguisme, un atout pour sa nomination

L’autre question qui a pesé dans la balance de la nomination de la nouvelle juge à la Cour suprême est sans doute son bilinguisme, suppose Michelle O’Bonsawin.

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Critiqué par une partie des communautés francophones du pays pour avoir nommé une gouverneure générale – Mary Simon – qui maîtrisait l’anglais et l’inuktitut, mais pas le français, Justin Trudeau a cette fois nommé une personne autochtone bilingue.

Sans se prononcer sur la nomination de Mary Simon, la juge O’Bonsawin opte pour la neutralité : «Être bilingue m’a aidée pour avoir ce poste à la Cour suprême. C’est important aussi que mes enfants le soient. Et comme personne autochtone, c’est aussi essentiel d’apprendre ma langue».

Son arrivée permet un premier banc de juges entièrement bilingues, une première à la Cour suprême. «C’est un atout, mais ça ne change rien de spécifique, nuance Michelle O’Bonsawin. La Cour suprême a toujours entendu les dossiers francophones.»

La juge parle français chez elle depuis son enfance. Cette langue l’a aussi suivie dans ses études, du primaire jusqu’à l’Université Laurentienne. Le français est aussi «l’une des raisons pour lesquelles j’ai appliqué à l’Université d’Ottawa ensuite, pour étudier la common law en français». Seules les universités de Moncton et d’Ottawa offrent cette possibilité.

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Elle maintient qu’il était important pour elle et son époux de s’installer à Ottawa, où il est possible de vivre aisément dans les deux langues officielles. Elle plaisante allègrement sur son accent, qui a pris les tonalités de celui de son mari acadien. «On fait tous partie de la grande famille de la francophonie canadienne, peu importe notre communauté», précise-t-elle!

Les coups de cœur culturels de Michelle O’Bonsawin

Livres

  • In My Own Moccasins: A Memoir of Resilience (2019) de Helen Knott.
  • All our Relations: Finding the Path Forward (2018) de Tanya Talaga.
  • Devenir (2018) de Michelle Obama.
  • Le sommaire exécutif de la Commission de vérité et réconciliation. «Je pense que beaucoup de gens, avant ce rapport, n’avaient pas réalisé l’impact des écoles résidentielles. Je l’ai lu à mes enfants pour qu’ils comprennent. Et avec les tombes d’enfants retrouvées l’an dernier, l’impact est encore plus fort, car ceux qui n’y croyaient pas n’ont plus le choix de voir que c’est une réalité.»

Films

«J’ai adoré Braveheart et Gladiator. Ces films rejouent souvent et on les regarde avec mon mari.»

Meilleur conseil reçu

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«Un de mes mentors à Postes Canada m’a dit: “Prépare tous tes dossiers comme si c’était le premier”. J’ai toujours suivi ce conseil. Comme nouvelle avocate, tout est nouveau. Mais si vous connaissez les faits, les plaidoiries, les points forts et les points faibles, alors vous saurez mieux répondre aux questions des juges. Et selon moi, une personne préparée va être respectée davantage, car elle aura pris la peine de le faire. C’est valable pour n’importe quoi dans la vie.»

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