La gestalt selon Bori

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Publié 11/04/2006 par Dominique Denis

Une des plus belles qualités de Bori est d’avoir toujours su faire vibrer nos cordes sensibles au diapason de son esprit, sans jamais recourir aux lieux communs de l’émotion pavlovienne. Depuis Vire et valse la vie, petit miracle surgi de nulle part à l‘aube des années 90, il y a une douzaine d’années, l’auteur compositeur québécois a le don de chercher ailleurs la source du frisson doux-amer auquel on reconnaît souvent les grandes chansons.

Depuis, il a rigoureusement maintenu cette exigence tout en élargissant ses horizons stylistiques. Et maintenant qu’il dispose de moyens à la mesure de sa vision, Dans ce monde poutt poutt (Productions de l’Onde/Sélect) multiplie les incursions: dans le country (Mais que si), le jazz (J’ai aimé, véritable ode à ses passions cinéphiles, mélomanes et autres), le folk attendri (Comprends-moi), la salsa (Tipopulo), la bossa nova (Petite fille) ou encore le swing manouche (Histoire banale).

S’il ne nous perd pas dans les couloirs de ses ambitions œcuméniques, c’est que Bori nous donne deux précieux fils d’Ariane: d’abord, cette voix, mi-Reggiani, mi-Lelièvre, dont le ton confidentiel nous invite à l’intérieur des chansons, et puis cette plume toujours exigeante, qui manie avec égal aplomb le désenchantement (de plus en plus prononcé, semble-t-il), la tendresse, le sarcasme et le regret. Rien, dans le monde de Bori, n’est dit explicitement. Tout est allusion oblique, métaphore, jeu de mots et… non-dit.

Il faut donc se donner le temps de tracer les liens entre les mots, puis entre les chansons, pour que se profile le dessin – et le dessein – de l’auteur, un effort pour lequel nous sommes largement récompensés, même lorsque l’écriture de Bori menace de chavirer dans l’hermétisme de ceux qui passent trop de temps à l’intérieur de leur tête…

Du dépouillement aux déploiements

Alors que le public québécois a ouvert grand les bras à Cabrel, Renaud ou Bashung, il n’a jamais cru bon de s’intéresser outre mesure au cas de William Sheller, avec pour résultat qu’une des œuvres les plus ambitieuses, intelligentes – et profondément humaines – de la chanson française demeure méconnue de ce côté de la mare.

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Pourtant, ce Sheller est un modèle de polyvalence, un musicien complet qui a su tirer profit d’une formation classique acquise auprès d’un ancien élève de Fauré, tout en répondant aux exigences communicatives du rock et de la chanson. C’est cela, et une éthique du travail irréprochable, qui lui permettent de faire mouche à tous les tableaux, qu’il s’agisse de la musique de film, des orchestrations pour d’autres artistes (dont Barbara), du quatuor à cordes, du jingle publicitaire, du concerto pour trompette, sans oublier la chanson, tantôt intimiste, tantôt expansive.

Contrastant avec le dépouillement de la formule piano-voix qui avait fait le succès de Sheller en solitaire, William renoue avec les grands déploiements symphoniques sur Parade au Cirque Royal (Mercury/Universal Special Imports), document d’une mémorable soirée bruxelloise de mars 2005.

Le résultat n’est pas sans rappeler les expériences de Procol Harum, Moody Blues et autre Pink Floyd dans le même créneau, les cochons volants en moins. Mais il ne faut pas y voir un caprice de vedette à qui sa compagnie de disques aurait donné un chèque en blanc, puisque Sheller parle couramment le langage de l’orchestre, et ses chansons portent souvent en elles ce «potentiel symphonique», de par leur richesse mélodique et harmonique qui se prêtent naturellement à ce genre d’habillage.

Que ce soit pour ce petit chef d’œuvre de tendresse qu’est Un homme heureux, pour la pop irrépressible de Dans un vieux rock and roll (qui rappelle le meilleur Elton John des années 70) ou l’orientalisme sinueux de Indies (Les millions de singes), Sheller a su trouver les couleurs orchestrales qui se prêtent à chacun de ses tableaux, sans jamais les écraser ni les dénaturer.

Si, dans le paysage actuel de la chanson, il n’y a guère plus de disques aussi ambitieux que Parade au Cirque Royal, c’est sans doute qu’il n’y a guère plus de musiciens qui, comme Sheller, possèdent la rigoureuse folie qui permet d’en accoucher.

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Une caresse évanescente

Au fur et à mesure que leur carrière s’inscrit dans la durée, les artistes de la chanson semblent se diviser en deux catégories. D’un côté, il y a les champions de la métamorphose – les Bowie, Madonna, U2 ou Dylan – qui se créent des personnages et réinventent leur son et leur look pour contourner le piège de la stagnation. Et puis il y a les autres, ceux qui préfèrent creuser et irriguer le même sillon, confiants qu’il n’a pas fini de porter fruit. Paolo Conte, Francis Cabrel, Leonard Cohen appartiennent à cette catégorie. Idem pour Dominique A.

Une douzaine d’années après La fossette, son premier album, la «nouvelle chanson française» dont il fut la figure de proue n’a plus grand chose de nouveau. Mais le jeune homme inquiet au crâne rasé reste fidèle à son incurable mélancolie, son esthétique épurée, qui confère à ses chansons cet effet opiacé dans lequel vous pourrez voir son plus grand charme ou sa principale tare, selon votre point de vue.

Sur le plan vocal, Dominique A. déploie le même registre de quatre notes et la même fiévreuse intensité que le jeune Gainsbourg (période Le poinçonneur des Lilas). Ainsi, L’horizon (La Tribu/Sélect) installe de bout en bout le même genre de climat claustrophobe et intoxicant que Serge avait planté sur Melody Nelson.

Mais en l’absence d’une présence vocale forte et de mélodies accrocheuses, les charmes de L’horizon se révèlent dans les détails, les discrètes nuances que seule une oreille attentive saura déceler.

En d’autres mots, à moins de s’y consacrer pleinement, à l’abri de toute distraction, cet album est du genre qui va et vient comme la brise, nous effleurant la peau pour se dissiper sans avoir laissé la moindre impression, sinon celle d’une caresse évanescente.

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Requiems pour un vendredi

L’idée même du requiem évoque tantôt grandeur, tantôt pathos. Brahms, Mozart, Berlioz ou Britten ont trouvé dans sa prémisse l’inspiration de certaines de leurs créations les plus ambitieuses, et qui répondent, pour l’essentiel, à la description précitée.

Mais chez Gabriel Fauré (1845-1924), la composition d’un requiem fut l’occasion de nous livrer une partition d’une indicible sérénité. Plus tard, son compatriote Maurice Duruflé (1902-1986) ferait de son propre Requiem la rencontre inspirée du plain-chant médiéval et d’une palette impressionniste.

Pour notre bonheur – car c’est bien de bonheur qu’il s’agit ici – les deux œuvres seront reprises par le Toronto Mendelssohn Choir ce vendredi 14 avril à l’église baptiste Yorkminster Park (1585, rue Yonge), à 20h. Billets: de 35$ à 65$ (416-598-0422, poste 21 ou www.tmchoir.org).

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