Une des plus belles qualités de Bori est d’avoir toujours su faire vibrer nos cordes sensibles au diapason de son esprit, sans jamais recourir aux lieux communs de l’émotion pavlovienne. Depuis Vire et valse la vie, petit miracle surgi de nulle part à l‘aube des années 90, il y a une douzaine d’années, l’auteur compositeur québécois a le don de chercher ailleurs la source du frisson doux-amer auquel on reconnaît souvent les grandes chansons.
Depuis, il a rigoureusement maintenu cette exigence tout en élargissant ses horizons stylistiques. Et maintenant qu’il dispose de moyens à la mesure de sa vision, Dans ce monde poutt poutt (Productions de l’Onde/Sélect) multiplie les incursions: dans le country (Mais que si), le jazz (J’ai aimé, véritable ode à ses passions cinéphiles, mélomanes et autres), le folk attendri (Comprends-moi), la salsa (Tipopulo), la bossa nova (Petite fille) ou encore le swing manouche (Histoire banale).
S’il ne nous perd pas dans les couloirs de ses ambitions œcuméniques, c’est que Bori nous donne deux précieux fils d’Ariane: d’abord, cette voix, mi-Reggiani, mi-Lelièvre, dont le ton confidentiel nous invite à l’intérieur des chansons, et puis cette plume toujours exigeante, qui manie avec égal aplomb le désenchantement (de plus en plus prononcé, semble-t-il), la tendresse, le sarcasme et le regret. Rien, dans le monde de Bori, n’est dit explicitement. Tout est allusion oblique, métaphore, jeu de mots et… non-dit.
Il faut donc se donner le temps de tracer les liens entre les mots, puis entre les chansons, pour que se profile le dessin – et le dessein – de l’auteur, un effort pour lequel nous sommes largement récompensés, même lorsque l’écriture de Bori menace de chavirer dans l’hermétisme de ceux qui passent trop de temps à l’intérieur de leur tête…
Du dépouillement aux déploiements
Alors que le public québécois a ouvert grand les bras à Cabrel, Renaud ou Bashung, il n’a jamais cru bon de s’intéresser outre mesure au cas de William Sheller, avec pour résultat qu’une des œuvres les plus ambitieuses, intelligentes – et profondément humaines – de la chanson française demeure méconnue de ce côté de la mare.