Mes parents ne «sacraient» jamais. Il était interdit de dire même «maudit» à la maison. On se le permettait dehors, avec un petit frisson de défi, jusqu’à ce que ça devienne normal. Un jour j’ai laissé échapper un «sacrament» chez un voisin: je me suis tout de suite excusé auprès de sa mère frappée de stupeur. Aujourd’hui, «tabarnac» me vient plutôt facilement…
Je me souviens aussi de la consternation de mes parents, amateurs de concerts et de théâtre classiques aux Beaux dimanches, face à la télédiffusion d’En pièces détachées de Michel Tremblay et de Tout écartillé de Robert Charlebois. C’était la fin d’une époque, une révolution culturelle qui ne présageait rien qui vaille selon eux.
Surtout, ils comprenaient mal qu’une génération plus éduquée que la leur semblait s’exprimer plus grossièrement. De fait, au Québec, l’avènement d’une grande classe moyenne a aussi produit et répandu un français «moyen», meilleur que celui de l’ancien prolétariat, mais qui a paru remplacer celui de l’élite dans les médias, les arts et la politique.
De plus en plus de gens – notamment les plus actifs sur les réseaux sociaux – sont aujourd’hui amenés à agir et parler de la même façon en public et en privé, pour le meilleur (c’est plus franc) et pour le pire (c’est plus cru).
Un de mes amis Facebook, gros consommateur de médias et prolifique commentateur de l’actualité, orne sa page d’une splendide photo d’action dans laquelle il brandit un doigt d’honneur. Comme tant d’autres, il tire allègrement du «fuck» et du «bullshit», qualifiant facilement tel politicien de «trou de cul» ou tel journaliste de «moron».
Très à gauche, il s’est évidemment scandalisé du succès de Donald Trump, élu en dépit – ou à cause? – de sa grossièreté et son franc-parler. Il récolte pourtant ce qu’il a semé: un politicien qui n’a aucun respect pour la tradition et la bienséance, et qui dit, sans filtre, ce qui lui passe par la tête. Et un président républicain aussi protectionniste, interventionniste et autoritaire, à plusieurs égards, que plusieurs de ses adversaires démocrates.