La Charia au Canada: les limites du multiculturalisme

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Publié 28/11/2006 par Aurélie Lebelle

En septembre 2005, Dalton McGuinty interdit tout arbitrage religieux en droit de la famille et met fin à un débat houleux qui secoue le Canada et l’Ontario depuis la publication du rapport Boyd. Le rapport, publié en décembre 2004, recommande la reconnaissance juridique du système de la charia en Ontario pour les questions du droit familial. Un documentaire retrace aujourd’hui les grandes lignes du débat en donnant la parole aux principaux intervenants de la communauté musulmane ontarienne.

«J’ai trouvé l’idée de réaliser ce documentaire excellente car elle posait à plat la question du multiculturalisme et la manière dont le Canada gérait les nouveaux immigrants musulmans», explique Dominique Cardona, la cinéaste derrière La Charia au Canada de la maison de production torontoise Médiatique.

L’arrivée massive d’immigrants musulmans ces dernières décennies a positionné l’islam en seconde position des religions pratiquées au Canada. La question de l’intégration culturelle et juridique de chaque citoyen a alors été évoquée lorsqu’en 2003, l’Institut islamique de justice civile a demandé l’instauration de tribunaux islamiques fondé sur les lois de la charia pour la résolution de différends familiaux et de successions. Cela a mis le feu aux poudres en Ontario mais plus encore dans la communauté musulmane.

«Ce n’est pas une question de liberté religieuse. La charia est un corpus juridique qui se superposerait aux lois canadiennes, souligne dans le documentaire, Fatima Houda-Pépin, députée à l’Assemblée nationale du Québec et Canadienne d’origine marocaine. Formés à l’étranger, les imams canadiens ont un agenda politique. Le Canada reconnaît le droit de chacun à sa religion, alors je dis oui à l’islam, non à l’islamisme!»

Les deux épisodes de 45 minutes du documentaire retracent les principaux points névralgiques du débat. Dans «Qu’est ce qui fait si peur?», Dominique Cardona donne la parole aux femmes francophones de la communauté musulmane. Aziza, Bouchra, Amira, Mounia et Noor évoquent leurs craintes, parfois de façon anonyme, face à ces tribunaux de la charia, qui leur enlèveront tous leurs droits. «Les imams au Canada durcissent leurs positions parce que les femmes musulmanes sont plus libres qu’avant», explique Amira, une musulmane pratiquante et progressiste.

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«J’ai contacté une association qui reçoit des musulmanes francophones, Oasis, précise la cinéaste. Je voulais prendre contact avec des femmes qui sont investies dans le débat parce qu’elles le vivent au quotidien. C’était plus représentatif que les Canadiens pure souche.»

Dans la seconde partie du documentaire, «Les pièges du multiculturalisme», Dominique Cardona met en avant les limites d’une dynamique qui définit pourtant l’identité canadienne. «Le multiculturalisme n’est pas un problème mais il peut être utilisé par des gens qui le détournent de sa fonction première», explique la cinéaste.

Tarek Fatah, président de la Progressive Muslim Union of North America, semble être du même avis: «Un musulman est quelqu’un qui croit aux cinq piliers de l’islam. Un islamiste, c’est un musulman qui veut imposer une structure politique.»

L’instauration de la charia aurait opéré de vastes bouleversements dans la communauté musulmane, notamment pour les femmes. Impossibilité pour elles de demander le divorce, suppression d’aide financière et des biens si le mari le souhaite mais aussi difficulté pour la femme d’obtenir la garde des enfants.

«J’avais l’impression de revenir en arrière avec ces tribunaux et que toute la lutte des femmes canadiennes pour obtenir des droits était réduite à néant, explique la cinéaste. Une femme ne peut pas prendre la décision de divorcer à cause de la pression sociale de la communauté qui veut suivre la charia.»

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Au-delà du projet de documentaire, La Charia au Canada était un véritable engagement pour Dominique Cardona: «J’ai donné mon point de vue en tant que femme, connaissant assez bien les femmes musulmanes car je suis née en Algérie.»

Le documentaire, bien que clairement partie prenante contre l’instauration de tribunaux islamiques, donne la parole à tous les intervenants. «Ce débat a eu un effet positif car il a mis en lumière une pratique existante», conclut Dominique Cardona.

L’ONF (150, rue John) a programmé deux soirées de projection en français et en anglais suivies d’échanges avec la cinéaste les 27 et 28 novembre prochains à 18h et 20h. Renseignements au 416-973-5382.

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