La béance, élément organique de la pensée bouraouïenne

«Un état de disponibilité et de dynamisme potentiel»

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Publié 01/12/2009 par Pierre Léon

Sur ce thème de la «béance», Abderrahman Beggar, (désormais AB) écrit un essai critique de ce que Hédi Bouraoui lui-même appelle la béance, dans son oeuvre. Elle constitue le fond de sa philosophie de l’écriture. L’ouvrage est divisé en trois parties: 1. La béance  par rapport à l’instinct de mort 2. Béance et altérité 3. Béance et «nomaditude».

Pour définir cette béance, le plus clair est de donner la parole à Hédi Bouraoui: «BÉANCE, un état de disponibilité et de dynamisme potentiel qui sollicite une complétude créatrice.

Cette béance viscérale ou symbolique produit une énergie créatrice entre deux ou plusieurs présences de graphèmes, de phrases, de voix, de matériaux langagiers, artistiques ou culturels» (Transpoétique).

AB cite judicieusement de nombreux extraits des oeuvres analysées, qui éclaircissent des commentaires souvent difficiles à suivre si l’on n’est pas familier avec l’appareil critique de la psychanalyse, de Freud à Lacan.

Ainsi dans le chapitre sur l’instinct de mort :
«Mais les toits des maisons comme des tombes
S’agencent hécatombe
rectiligne de mots
L’effroi et l’angoisse
se suspendent
Comme ces ponts
qui accouplent
Goulûment les rives » (Bouraoui, Echosmos).

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Et AB de commenter: «Dans ce sens, que sont les mots qui composent un poème, sinon des abris de la béance, de la non-existence ? […] La mort perd son masque culturel pour rejoindre la vérité de sa fonction première organique, qui est celle de décomposer, recycler, engendrer».

Les passages sur les cadeaux empoisonnés de la technologie et du langage, vus par Bouraoui, sont particulièrement bien commentés, dans une section sur «Béance du sujet et crise du sujet moderne». AB ne résiste pas à nous donner cette belle description du Nil:

«J’évoque le bouillonnement tumultueux des eaux de la première cataracte et la silhouette du nouveau Neptune d’où jaillit la crue. […] À l’intérieur trône le Dieu Nil aux cheveux flottant en trois immenses mèches de papyrus, trident de l’intrigue.» (La Pharaone).

AB rappelle que la béance est aussi «le lieu où le lecteur s’installe pour saisir la poétique bouraouïenne», comme le dit le poète lui-même. Mais c’est surtout dans la deuxième partie du livre que la béance prend son sens d’altérité.

Les Illuminations autistes y sont rappelées en bonne place. AB commente brillamment tout le texte de Bouraoui et conclut: «Bouraoui choisit l’entre-deux comme lieu de projection de sa pensée. Nous ne sommes pas dans une logique d’opposition, entre une parole saine et une autre «handicapée».

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Nous sommes, selon AB, dans une communion parfaite entre l’auteur et son sujet. «Motivée par la transcendance, cette fusion réduit presque à  zéro la distance séparant le sujet de l’objet.»

Dans Béance et nomaditude, AB nous rappelle que Bouraoui nous livre le fruit de plus de trois décennies de réflexion sur son univers créatif, avec son Transpoétique. Éloge du nomadisme. Sans doute faut-il entendre par «nomadisme» le don de l’écrivain qui touche à tous les genres, à tous les sujets par tous les moyens que lui donne le langage.

D’où ce joli poème :
«J’ai choisi de vivre dans les mots
Au coeur d’alphabets inconnus
Là où les oiseaux chantent
Leur silence immémoriel
Aux quatre coins des cinq
continents» (Transpoétique).

Bouraoui, nous dit AB, «veut libérer l’oeuvre du poids de l’imaginaire collectif, en déconstruisant fictions historiques et préjugés afin d’assurer sa spécificité à l’action créative».

Inventer de nouveaux mots est pour le poète la seule manière de faire exploser les frontières du sémantique et du sémiotique. Et AB de conclure: «L’infini de la béance joue le rôle de continu totalisant propre au zéro».

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Dans son ensemble, ce livre offre une bonne synthèse de l’écriture de Bouraoui. Celle de son critique est souvent redondante, bourrée de citations savantes, parfois jargonneuses et c’est dommage. Mais la critique vaut la peine d’être lue ne serait-ce que pour retrouver un auteur dont l’oeuvre est considérable.

Abderrahman Beggar, L’épreuve de la béance. L’écriture nomade chez Hédi Bouraoui, New Orléans, Presses Universitaires du Nouveau Monde, Bibliographie, 2009, 111 pages.

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