La ballade de Dalton

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Publié 20/02/2007 par Dominique Denis

On a beau être en février et donc très loin de l’heure des bilans, mais il n’est pas prématuré de parler ici de la réédition de l’année. Enfin, de ma réédition de l’année.

Ce trésor trop longtemps égaré dans les limbes de vinyle – et qu’une poignée de mélomanes avisés attendait depuis des lustres – a pour titre In My Own Time, de Karen Dalton. Karen qui, me direz-vous?

Pour simplifier, disons que si Billie Holiday était née dans une cabane de mineurs au fin fond du Kentucky, elle aurait probablement possédé la voix de cette mystérieuse métisse (mi-Cherokee, mi-Blanche) qui fréquentait déjà la scène folk new-yorkaise depuis une dizaine d’années quand on lui proposa enfin, en 1969 et 1971, d’enregistrer deux microsillons.

Aussi soigné dans sa préparation qu’imprévisible dans ses interprétations, le second d’entre eux, In My Own Time, nous est enfin restitué, dans une superbe pochette cartonnée, par le label américain Light In The Attic.

Entourée de la plupart des musiciens qui accompagnaient alors Janis Joplin au sein du Full Tilt Boogie Band (parmi lesquels se signalent le pianiste Richard Bell et l’organiste Kenny Pearson, tous deux Canadiens), Dalton brouille les pistes entre roots rock, country crève-cœur, blues et soul (y allant même d’une superbe reprise de How Sweet It Is).

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À l’occasion, elle sort son banjo pour revisiter à sa façon ces inquiétantes incantations de l’Amérique pré-industrielle (Katie Cruel) avec cette déconcertante liberté à laquelle on reconnaît ceux qui estiment que c’est en chantant autour de la mélodie qu’on atteint le cœur de la chanson.

Et comme l’explique si bien Nick Cave à son sujet, «she knows how to be sad». Ce qui, à en juger par toute la bouillie insipide que les gens bien intentionnés écrivent et chantent sous l’emprise du chagrin, est un talent rare.

Karen Dalton est morte dans l’obscurité la plus totale en 1993, après plusieurs années de quasi-clochardise, ravagée par l’alcoolisme, les drogues dures et la solitude enveloppant ceux qui refusent tout compromis, que ce soit dans leurs amours, leurs amitiés ou leur art. In My Own Time est son testament intemporel.

Bromberg, seul avec les autres

Il a porté la guitare du Reverend Gary Davis et escorté le maestro aveugle un peu partout en échange de leçons particulières. Il a jammé et fraternisé avec Dylan à l’époque où tous deux étaient aspirants folkies à Greenwich Village (les deux se retrouveraient en studio en 1970, à l’occasion du classique New Morning).

Comme accompagnateur, il a enrichi de sa présence d’innombrables albums signés Willie Nelson, Carly Simon, Ringo Starr et les Eagles, pour ne nommer que ceux-là. Sous son propre nom, il a documenté et personnalisé des centaines de classiques du blues et des musiques traditionnelles de cette «vieille et étrange Amérique» chère au musicologue Greil Marcus.

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Il maîtrise le fingerpicking des bluesmen piedmontais et le bottleneck du Delta comme s’il était né avec une six-cordes entre les mains, mais en aspirant au feeling plutôt qu’à la perfection. Il s’appelle David Bromberg et cela faisait une vingtaine d’années qu’il n’avait pas donné de ses nouvelles discographiques, tournant le dos à la scène et aux studios en faveur de son atelier de confection de violons.

C’est vous dire si Try Me One More Time (Appleseed) tombe bien, d’autant qu’on y retrouve Bromberg en grande forme, seul avec ses douze guitares et sa voix capable de grogner du gospel à la Blind Willie Johnson ou d’y aller d’une envolée de fausset à la Robert Johnson (superbe sur Kind Hearted Woman).

Encyclopédique par la gamme d’idiomes et de styles qu’il explore, cet opus tant attendu est pour Bromberg l’occasion de s’acquitter de nombreuses dettes, envers Gary Davis, bien sûr, mais aussi Elizabeth Cotton et Blind Willie McTell.

Et comme tout artiste qui assume et partage son penchant folkloriste, le bougre n’est pas chiche en explications, comme l’illustre le commentaire qui accompagne chacune des chansons de cet album qui fascine par son érudition et nous touche par son intimisme.

Try Me One More Time? Avec plaisir, Monsieur Bromberg.

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