Kinshasa la belle, Kinshasa la poubelle

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Publié 22/01/2008 par Paul-François Sylvestre

Né à Montréal mais élevé en Afrique, Didier Leclair vit à Toronto depuis la fin des années 1980. Après Toronto, je t’aime (2000) et Ce pays qui est le mien (2003), il nous offre Un passage vers l’Occident, roman qui dépeint la condition humaine dans une Afrique se cherchant au- delà de la modernité.

Le roman est composé de 63 courts chapitres, dont l’un est constitué d’un seul paragraphe de 49 lignes. Ce rythme saccadé convient au récit d’une vie mouvementée, celle d’une jeune Africaine qui rêve d’un meilleur avenir. Dès la première page, le lecteur est plongé dans la nuit, dans la mer agitée. Un passeur conduit des clandestins africains dans un petit bateau de pêche qui tente de traverser le détroit de Gibraltar sans être intercepté par les garde-côtes.

C’est là que se joue le face à face entre l’Europe occidentale capable de nourrir sa population et l’Afrique «incapable de subvenir aux nécessités élémentaires de la majorité de ses habitants». En 15 pages, l’auteur décrit la traversée illégale du détroit de Gibraltar, ce bras de mer qui s’avère un bras de fer. Il y a naufrage. Une des rares femmes à bord échoue sur le sable espagnol. Angélique, qui n’a pas encore 30 ans, est sauve.

Après ces 15 premières pages, le roman fait un retour en arrière qui va durer 170 pages. Le lecteur est transporté au Congo, à Kinshasa, dans l’enfer qu’Angélique cherche à fuir. Le roman ne précise pas l’époque exacte de l’action, mais on sait que c’est juste après 1997 puisque Mobutu a été chassé du pouvoir.

Angélique mène une vie qui n’a rien d’angélique, bien au contraire. Sa mère est surnommée Sidonie mais «elle interdit à tous ses enfants de prononcer ce prénom car, à Kinshasa, on l’utilisait pour désigner les femmes porteuses du virus du sida». Le romancier décrit la ville de Kinshasa qui est loin d’être l’Eldorado d’une certaine époque. Il nous montre une ville qui est passée des édifices luxueux «à ce qu’on peut qualifier d’immondices à ciel ouvert»,

Excellente danseuse, Angélique est une femme d’apparence séduisante. Elle dégage «une énergie naturelle qu’il [est] difficile d’ignorer». À Kinshasa, la jeune femme découvre les affres de la vie adulte. La plume de Didier Leclair est suave lorsqu’il décrit l’Angélique en mutation: «Peu à peu, son rire perdit les échos de l’adolescence et son visage se mua en celui d’une adulte revenue de la face cachée de la vie et hantée par les démons qui s’y trouvent.»

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Angélique est engagée par sa sœur Betty comme danseuse dans un groupe musical. Naît aussitôt l’espoir de pouvoir un jour échapper à «la meute au ventre creux». Elle doit se débrouiller dans une ville «surnommée “Kinshasa la belle” par certains et “Kinshasa la poubelle” par d’autres». Pour décrire la vie nocturne à Kinshasa, le romancier a une plume colorée et écrit que «dans les bars de ces bidonvilles à forte population, on est serrées comme des raisins noirs en grappes luisantes».

Le roman regorge de rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine. Viol, prostitution, enfer de logements misérables, enfant-sorcier, trafic de diamants, tout contribue à faire avancer l’intrigue. En raison du titre que porte le roman, le lecteur sait, au départ, qu’Angélique réussira à se frayer un passage vers l’Occident.

Passage difficile, voire fatal pour ses compagnons d’infortune. L’auteur écrit qu’elle n’oubliera jamais ces hommes et «le silence dans lequel, pour toujours, ils sont ensevelis». Pourtant, il nous dit peu de choses au sujet d’eux. Le titre du roman ne me semble pas très bien choisi car le récit porte essentiellement sur la vie infernale à Kinshasa et sur la fuite du Congo. Il porte très peu sur le passage vers l’Occident, à moins qu’il s’agisse d’un passage à vide que le Robert décrit comme une «perte momentanée du dynamisme, de l’efficacité au cours d’une action».

Didier Leclair, Un passage vers l’Occident, roman, Éditions du Vermillon, Ottawa, 2007, 208 pages, 20$.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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