Karen Young entre l’âme et la chair

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Publié 29/05/2007 par Dominique Denis

Depuis plus de trente ans, la chanteuse montréalaise Karen Young défriche des sentiers nouveaux en marge de ceux auxquels le jazz vocal nous a habitué. Si elle demeure relativement marginale aux yeux des fans de Harry Connick et Diana Krall, ce sont les amoureux de jazz comme musique exploratoire qui sortent gagnant de ce parti prix intègre.

Avec Âme, corps et désir (Ursh/Sélect), qui se veut une manière de prolongement de l’ambitieux Le Cantique des cantiques, elle renoue avec cette entreprise de fusion entre le jazz et l’ars nova («art nouveau») médiéval, réconciliant le XIVe et le XXIe, la partition et l’improvisation, l’âme et la chair.

Ancrant ses envolées polyphoniques tantôt dans une pulsion jazz, tantôt dans des guitares rock, cette habituée du Studio de musique ancienne de Montréal nous rappelle que l’ars nova n’était pas, dans son essence, une musique purement eurocentrique.

Par moments, en effet, les envolées de Karen doivent plus aux chants d’extase soufis qu’à une tradition européenne. Il est aisé de comprendre ce qui, dans cette musique, avait pu pousser le Vatican à en bannir la diffusion.

S’il peut dérouter lors de l’écoute initiale, Âme, corps et désir est de ces disques qui nous récompense en frissons au fur et à mesure qu’on en apprivoise toutes les audaces. Parions que Guillaume de Marchaut (1300-1377), le compositeur et poète iconoclaste qui a inspiré ce projet, aurait vu en Karen Young une digne héritière spirituelle.

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Pélerinage acadien

Même si le nationalisme musical est le plus souvent associé au XIXe siècle, les divers folklores nationaux – qu’ils soient espagnol ou arménien, irlandais ou hongrois – continuent de nourrir l’inspiration de compositeurs de musique dite «sérieuse».

Dans les meilleurs des cas, on y gagne autant qu’on y perd, la véracité populaire des mélodies se trouvant remplacée par une certaine élégance formelle et une plus grande palette harmonique.

Sans vouloir donner à son patrimoine acadien des allures formelles de lieder schubertiens, la soprano Suzie LeBlanc poursuit sur Tout passe (ATMA) le travail entrepris il y a trois ans avec La mer jolie, en revisitant certaines mélodies qui ont bercé son enfance et celle de nombreuses générations de descendants d’Évangéline.

En s’entourant de musiciens qui maîtrisent aussi bien le vocabulaire classique que folklorique, Suzie a évité le plus courant des pièges de ce type de projet: celui d’un folklore exsangue et «défolklorisé», tout en choisissant de revisiter ces mélodies avec son instrument vocal peaufiné au contact du Baroque. Le résultat n’est pas sans évoquer ce que produiraient les Chieftains s’ils engageaient une soprano classique pour se pencher sur leur propre patrimoine celte.

En intercalant ses propres interprétations de pièces instrumentales, Suzie a voulu donner la parole aux excellents musiciens qui l’entourent, tout en reflétant le fait que le patrimoine musical acadien ne saurait se réduire au strict répertoire chanté.

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Maria multiplie les miracles

Ne suivant que d’assez loin la scène lyrique (fonction des circonstances plus que d’un manque d’intérêt), la soprano de souche espagnole María Bayo m’était, jusqu’il y a peu, parfaitement inconnue.

Question de faciliter ma découverte – et donc la vôtre – l’étiquette française Naïve nous a compilé une poignée de ses plus beaux enregistrements des dix dernières années sur Maria Bayo Album.

Réparti à parts égales entre airs d’opéra (Handel, Mozart, Rossini) et chansons de facture plus récente (Ravel et surtout Canteloube, avec trois extraits des sublimes Chants d’Auvergne), cette collection témoigne, en premier lieu, de la remarquable polyvalence de celle qui fut l’élève de l’immense Teresa Beganza.

En marge de mélodies plus familières, on peut se réjouir de l’inclusion de quelques perles méconnues, dont cette Canción de cuna para dormir a un negrito, sensuelle berceuse cubaine de Xavier Montsalvatge, qui n’est pas sans rappeler le classique Duerme Negrito.

À n’importe quel registre, la voix de Bayo reflète une technique irréprochable et un grand souci d’articulation, relevant sans effort apparent tous les défis que lui lancent ce répertoire.

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