Depuis plus de trente ans, la chanteuse montréalaise Karen Young défriche des sentiers nouveaux en marge de ceux auxquels le jazz vocal nous a habitué. Si elle demeure relativement marginale aux yeux des fans de Harry Connick et Diana Krall, ce sont les amoureux de jazz comme musique exploratoire qui sortent gagnant de ce parti prix intègre.
Avec Âme, corps et désir (Ursh/Sélect), qui se veut une manière de prolongement de l’ambitieux Le Cantique des cantiques, elle renoue avec cette entreprise de fusion entre le jazz et l’ars nova («art nouveau») médiéval, réconciliant le XIVe et le XXIe, la partition et l’improvisation, l’âme et la chair.
Ancrant ses envolées polyphoniques tantôt dans une pulsion jazz, tantôt dans des guitares rock, cette habituée du Studio de musique ancienne de Montréal nous rappelle que l’ars nova n’était pas, dans son essence, une musique purement eurocentrique.
Par moments, en effet, les envolées de Karen doivent plus aux chants d’extase soufis qu’à une tradition européenne. Il est aisé de comprendre ce qui, dans cette musique, avait pu pousser le Vatican à en bannir la diffusion.
S’il peut dérouter lors de l’écoute initiale, Âme, corps et désir est de ces disques qui nous récompense en frissons au fur et à mesure qu’on en apprivoise toutes les audaces. Parions que Guillaume de Marchaut (1300-1377), le compositeur et poète iconoclaste qui a inspiré ce projet, aurait vu en Karen Young une digne héritière spirituelle.