Kamataki – La sérénité d’un homme et d’une oeuvre

Entrevue avec le cinéaste Claude Gagnon

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Publié 25/04/2006 par Marta Dolecki

Un grand bol d’air frais dans un monde en technicolor saturé d’images et de sons. Comme une respiration douce et rythmique, la caméra de Claude Gagnon se promène le long de paysages faits de cours d’eaux et de collines verdoyantes baignées d’une lumière pure et franche.

Puis, ce sont des gros plans qui embrassent les êtres, leurs visages et leur intériorité, avec arrêt obligé sur les procédés de la poterie ancestrale, montrant comment l’homme peut vivre en harmonie avec une nature qu’il a su apprivoiser.

Du film de Claude Gagnon, qui a pour titre Kamataki, le spectateur ressort serein et apaisé. Les plans, toujours fixes, se déroulent lentement, glissent des eaux bleues du fleuve St-Laurent à la campagne japonaise en passant par le feu ardent de l’atelier de poterie. Un monde pacifié où le silence, ajouté à un ballet intérieur, celui de la symphonie des sens, parvient à panser les plaies de l’âme.

Au Japon, le kamataki est une technique de cuisson en poterie au cours de laquelle les objets sont placés au four. Ils y cuisent pendant huit jours à des températures très élevées. Huit jours, c’est tout le temps qui faudra à Ken Antoine, un jeune adulte de 22 ans, pour faire la paix avec le passé et rallumer dans son regard une étincelle de vie et d’espoir. Sa guérison spirituelle est le moteur principal et le propos inscrit au cœur du film.

Claude Gagnon signe son retour au cinéma

Sérénité donc, pour une oeuvre aux allures de conte philosophique qui séduit le spectateur par la beauté de ses plans étirés. Sérénité aussi pour Claude Gagnon qui revient au grand écran après une longue absence. Il y avait eu le très populaire Kenny – l’histoire d’un enfant handicapé dans la banlieue de Pittsburgh, aux États-Unis. Ensuite, plus rien ou plutôt de petits murmures.

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Les films suivants, The Pianist, Pour L’Amour de Thomas, avaient été mal accueillis par la critique. Après un silence de 15 ans, le cinéaste québécois retrouve au-jour-d’hui son grand amour, le cinéma, et Kamataki porte tous les signes d’une belle renaissance.

«Le film avait commencé dans ma tête il y a à peu près sept ou huit ans, explique Claude Gagnon en entrevue. J’ai passé les années 70 au Japon et c’est certain qu’il y avait toujours ce désir d’y retourner pour faire un film. Mais à l’époque, je n’étais pas prêt. Les années ont passé, et, avec elles, tout est devenu plus clair et s’est mis à couler, comme ça, de source sans qu’on panique, mais en laissant venir les choses. Le métier est devenu plus facile, il y a eu tout auparavant cet apprentissage. Il faut qu’on soit passé par certaines expériences pour avoir ensuite cette clarté.»

Avec ce dernier long métrage, Claude Gagnon a voulu livrer une réflexion toute personnelle sur la beauté, la beauté de la vie, de l’art, de la femme, mais pas exactement de celle qu’on croit – la jeunette de 20 ans qui se pavane dans la rue en attirant à elle tous les regards. Il a aussi voulu inscrire en filigrane une réflexion sur le malaise profond de la jeunesse actuelle.

Perceptions erronées sur le suicide

Le film s’ouvre sur une tentative de suicide avortée. Ken (Matt Smiley) a perdu son père et tente de mettre fin à ses jours en se jetant du haut d’un pont. Il survit miraculeusement et trouve refuge au Japon, chez son oncle potier. L’épisode du suicide n’est pas rapporté de vive voix, mais plutôt de façon indirecte, par l’intermédiaire d’une lettre que la mère de Ken envoie à Takuma, l’oncle de Ken (Tatsuya Fugi) pour lui expliquer l’état d’esprit de son neveu.

«Il y a beaucoup de perceptions erronées autour du suicide, remarque à ce sujet Claude Gagnon. Les adultes cherchent toujours une raison au suicide d’un jeune. Parfois, il n’y pas de cause particulière. C’est simplement une difficulté de vivre, d’être jeune aujourd’hui dans une société qui n’a plus de valeurs.»

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Ce constat, le réalisateur l’a dressé en voyant défiler ces vies fragiles autour de lui. «Ma fille la plus jeune a 23 ans. Entre l’âge de 15 et 20 ans, elle a perdu six de ses amis qui se sont suicidés. Ces jeunes venaient d’un milieu favorisé, sans aucun problème, et d’un jour à l’autre, sans motif apparent, ils ont décidé d’en finir», note le réalisateur.

Dans Kamataki, la caméra retrouve Ken chez son oncle japonais, après sa propre tentative d’en finir et pas vraiment enthousiaste à l’idée d’être encore en vie. Pendant la première partie du film, le jeune homme est plongé dans une mélancolie toute baudelairienne, sorte de spleen, vague à l’âme confus dont il du mal à se sortir.

«C’est vrai qu’on aurait pu mettre au centre du film un personnage flamboyant, qui casse tout et avec lequel le spectateur aurait pu facilement s’idenfifier. Mais là, on se retrouve avec quelqu’un qui souffre de dépression. C’est assez rare, dans la vraie vie, qu’on invite une personne souffrant de dépression à aller prendre un café. On a plutôt tendance à la laisser de côté jusqu’à ce qu’elle aille mieux. Là, on demandait au spectateur de passer du temps avec Ken et ça, c’était justement tout le défi du film», estime Claude Gagnon.

Réapprendre à vivre

Contrepoids naturel à la passivité de Ken, l’oncle Takuma, excentrique artiste, insatiable épicurien qui aime les femmes autant que sa poterie, introduit la touche de folie et d’animation nécessaires pour revigorer la première partie. Et, en effet, le vieux potier ne manque pas d’entrain, lui qui chantonne dans un anglais boiteux au karaoké du coin et considère les relations sexuelles, même extra-conjugales, comme faisant partie des choses de la vie.

Au fond, Takuma crée un contraste saisissant avec le jeune Ken qui, lui, rejette les plaisirs de la chair et considère les incartades de son oncle comme autant d’activités avilissantes.

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C’est au contact de ce même oncle, libre penseur et ouvert sur le monde, que Ken finira par retrouver goût à la vie, lentement, par petites touches et à son propre rythme. Sa renaissance prend place au-delà de toute espérance.

Un scène particulièrement belle et sensuelle le montre en compagnie d’une veuve, Kariya Sensei (Kazuko Yoshiyuki). Le jeune homme s’apprête à goûter aux joies de l’amour physique en compagnie d’une femme de plus de 60 ans.

Porter un autre regard

Là encore, Claude Gagnon a voulu saisir à contre-courant les idées préconçues sur la beauté, l’amour et le désir.

«Un gars de 20, 22 ans a tendance à voir les filles entre 18 et 28 ans. Le regard des jeunes gens ne se porte que sur les gens de leur âge, donc ils ne peuvent pas découvrir la beauté puisqu’ils ne regardent pas, justifie le réalisateur. Avant qu’on se dise que Sensei est belle, il a fallu faire face à tout un paquet de préjugés. La femme de plus de 50 ans, c’est l’incarnation de la mère, de la grand-mère. Socialement, on se crée certaines images qui fonctionnent comme des barrières et on voudrait toujours les conserver», affirme Claude Gagnon.

Et, pour ce fin observateur du Japon, s’est enfin posée la question de pas de trahir une société, ses traditions et sa culture, en en donnant une image déformée sur pellicule. «J’ai toujours été insulté par la télé étrangère qui débarquait au Japon, et portait toujours les mêmes jugements. Je pense au contraire que ça prend beaucoup d’humilité, de modestie pour s’imprégner d’une culture, regarder et voir les choses autrement», conclut le réalisateur.

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Le film Kamataki sort à Toronto le 28 avril.

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