Jean Paré: phrases assassines et réflexions savoureuses

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Publié 14/05/2013 par Paul-François Sylvestre

Ancien rédacteur en chef du Magazine Maclean et fondateur de L’actualité (1976), Jean Paré est connu pour son style direct, pour ses analyses stimulantes et pour ses écrits qui sont toujours un antidote à la langue de bois. On retrouve ces mêmes qualités dans Le calepin d’Érasme, une série de brèves réflexions sur la littérature, la religion, l’histoire, l’économie, l’environnement, le bonheur ou les médias.

Ce qui m’a d’abord frappé dans ces carnets, ce sont les nombreuses courtes réflexions que je qualifierais de «phrases assassines». Je vous en propose quelques-unes. D’abord une question existentielle suivie d’une réponse terre-à-terre: «L’humanité va-t-elle survivre? Bien sûr que non. La vraie question, c’est jusqu’à quand.»

Puis ce commentaire coup-de-poing: «Un Américain, un Britannique, un Français ne doutent pas de ce qu’ils sont ni de leurs nécessités, forgées au fil des siècles. Le Québécois pense qu’il est un accident.»

Enfin, une remarque juteuse placée sous la rubrique La guerre de trois: «Les Canadiens veulent l’unité canadienne, les Québécois la dualité canadienne. Cela explique tout.»

Jean Paré écrit qu’un magazine a demandé à ses lecteurs d’indiquer le fait le plus important de l’histoire du Québec. Certains ont répondu: la rébellion de 1837 ou l’Expo 67, d’autres la Révolution tranquille ou la création du Parti québécois. Paré, lui, soutient «que le fait primordial de l’histoire du peuple québécois et déterminant sa situation géopolitique est la décision de Louis XV, en 1763, de conserver la Guadeloupe et la Martinique plutôt que le Canada. […] Tout notre destin s’est déterminé à partir de là. C’est probablement aussi le fait central du destin de la France et de la langue française.»

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L’auteur est sévère, mais juste dans son analyse du fait français au Québec. Il décrie «le baragouin que parlent les soi-disant francophones. Le français tel qu’on s’efforce de le parler le plus mal possible au Canada est moins une tentative de création d’une langue originale, contrairement à ce que l’on prétend, qu’un rejet de l’univers français qui n’est plus le nôtre, et qui nous est de moins en moins compréhensible et derechef moins admirable.»

Plusieurs notes de ces carnets portent sur la langue, la culture, l’histoire du Canada et du Québec. On peut y lire que «pendant que les deux “peuples fondateurs” se regardent en chiens de faïence, le goutte-à-goutte de l’immigration les transforme en peuples “fondus”».

Le lecteur a droit à quelques jeux de mots savoureux. En voici un bel exemple. Sous la rubrique Tristes cires, Paré écrit qu’«entre cierge et clergé, qui vont si bien ensemble, on dirait que l’on s’est seulement trompé d’une lettre».

Une réflexion intéressante qui a piqué ma curiosité s’intitule tout simplement Grand-père. Il est fait mention que les grandes découvertes que nous tenons pour contemporaines ont, en fait, près de cent cinquante ans. C’est le cas des ondes hertziennes, de la structure de l’atome, des rayons X et de l’électricité.

Paré écrit que c’est la génération de ses grands-parents, nés dans les années 1870, «qui a vu apparaître ces techniques que l’on mettra que de vingt-cinq à trente ans à adopter partout dans les villes, et une génération de plus pour les campagnes».

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L’auteur signale que son grand-père est né en 1876, année durant laquelle «Antonio Meucci et Alexander Bell inventaient le téléphone, Charles Cros le phonographe, Dunlop le pneu et Edison l’ampoule électrique. […] L’éclairage électrique des rues et des maisons apparaît en 1878.»

Il ajoute que, en y pensant bien, c’est aussi la génération de son grand-père qui a mis la culture sens dessus dessous: Picasso, Klimt et Kandinsky, Proust, Joyce et Kafka, Bauhaus, Diaghilev, Stravinski et Schoenberg. «L’invention, bien plus que la nécessité, est la véritable mère de l’invention. Et sa grand-mère… Un progrès mène à un autre. C’est une invention qui permet la suivante, et ainsi de suite.»

Dernière remarque: la page plein titre nous invite à ne pas lire ces réflexions d’un trait. Il est en effet plus agréable de les savourer à petites doses. Chaque gorgée est un nectar.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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