L’Histoire a ceci de spécifique qu’elle est généralement écrite par les vainqueurs. La vérité que l’on y tire, même si elle est sujette à de nombreuses vérifications préalables, n’en est pas pour autant complète. Le mensonge par omission est encore quelque chose de très présent dans notre culture occidentale, et les méfaits de l’esclavagisme et de la colonisation ont plus difficilement droit de cité dans les manuels scolaires que les grandes batailles de notre temps.
En France, les courbettes des rois ont une place de choix sur l’échiquier littéraire de la grande Histoire. De long en large, on en relate les plus glorieuses conquêtes et les plus viles trahisons, avant d’aboutir sur 1789 et la prise de la Bastille. Une histoire palpitante de guerres, d’invasions et de libérations s’en suit. La dernière en date, un jour de juin 44, met en exergue, et à juste titre, le comportement héroïque de soldats canadiens et américains qui ont foulé les plages de Normandie.
Mais ce que l’on évoque moins, au sujet de cette sombre période de l’histoire, c’est l’importance du débarquement d’août 1944 en Provence. Ce 15 août, une armée composée d’un grand nombre de soldats issus des colonies françaises entame une percée en Méditerranée, qui obligera l’armée allemande à s’employer sur un troisième front. Cette histoire, leur histoire est à la base du dernier film de Rachid Bouchareb, Indigènes. À travers l’histoire intimiste de cinq combattants issus des colonies nord-africaines de la France, le réalisateur franco-algérien propose une magnifique fresque du quotidien des libérateurs de l’époque.
L’histoire de cinq jeunes soldats du bled, nés en Algérie dans les années 30, qui n’ont d’images de la France que celles des cartes postales et qui vont pourtant s’offrir à elle. Porté par une performance d’acteurs remarquable – les cinq protagonistes ont été conjointement honorés d’un Prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Cannes – le film parvient à atteindre son but premier: sensibiliser tout en divertissant le public.
Polémiques
Comme toujours, lorsque l’on s’atèle à évoquer une page poussiéreuse de l’histoire, les polémiques fusent. La colonisation est un dossier que l’on peine à rouvrir en France et plus généralement en Europe. Indigènes, qui s’auto-proclame ouvertement comme «un film si puissant qu’il changea le cours de l’histoire» – dixit l’affiche de la sortie canadienne – s’est évidemment posté sous les feux des historiens. Les faits évoqués dans le film, pour la plupart, ne sont pour autant pas contestables. Malgré tout, comme le souligne l’historien Pascal Blanchard, spécialiste de la colonisation à l’Université Paris VIII, certains clichés sont un peu maladroits.