Il a changé leurs chansons

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 10/02/2009 par Dominique Denis

Depuis des années, Arno prend un malin plaisir à barbouiller, de sa voix de Tom Waits des Flandres, les chansons des autres, avec des résultats qui ne sont jamais moins que fascinants. Ce n’était donc qu’une question de temps avant qu’on rassemble lesdites incursions sur un seul album. Covers Cocktail (Delabel/EMI) a quelque chose d’intoxicant, comme une soirée passée à échantillonner des alcools divers, mais qui nous brûlent invariablement un trou au creux du bide.

Question d’établir d’entrée de jeu la thématique, Arno y va d’un duo avec Stephan Eicher autour de Ils ont changé ma chanson (Look What They’ve Done to my Song, Ma) le vieux succès folk de Melanie. De là, Arno nous emmène de surprise en provocation, beuglant l’incroyable Ubu de son compatriote Dick Annegarn, transformant le Mother’s Little Helper des Rolling Stones en ballade désabusée (rendant admirablement l’insoutenable lassitude du personnage), et prêtant au fameux Sarah de Moustaki («La femme qui est dans mon lit n’a plus vingt ans depuis longtemps») tout le poids du blues. Si les morceaux tirés du répertoire soul et blues sont efficaces (Walkin’ The Dog, Rollin’ And Tumblin’), ils s’avèrent nettement moins essentiels, du fait qu’Arno ne s’y éloigne guère de ses modèles.

En autres mots, c’est surtout lorsqu’Arno caresse des classiques à rebrousse-poil que l’originalité de sa démarche s’impose le plus éloquemment. Pour s’en convaincre, il suffit de l’entendre décaper le vernis pop de Knowing Me, Knowing You pour nous révéler la douleur nue derrière la mélodie classique d’Abba. Ce qui aurait pu n’être que gageure s’impose comme le chemin le plus direct vers l’essence de cette chanson, et la preuve la plus tangible de l’étrange génie d’Arno.

Montréal, Arizona

Une douzaine d’années après l’original, le Québec détient maintenant sa propre version de Calexico. Pour ceux qui l’ignorerait, Calexico, c’est ce groupe qui a poussé à l’ombre des cactus de l’Arizona (à Tucson, si je ne m’abuse), créant une musique – plus canevas que chansons – à l’image de ce décor d’une impitoyable beauté. Au fil d’une poignée d’albums cousus main et enregistrés en marge de toute attente commerciale, ces sorciers du sud-ouest ont créé une mythologie sonore qui emprunte à parts égales à la musique de chambre et aux bandes-son des spaghetti-westerns de Sergio Leone.

Mais pour revenir à nos Québécois, ils ont pour nom Rodéoscopique, et pour ne pas se compliquer la vie, c’est également le titre qu’ils ont donné à leur premier album, paru le mois dernier chez Audiogram. S’entourant d’une demi-douzaine de complices (dont le brillant violoniste Guido del Fabbro et le maître du pedal steel, Rick Haworth), le multi-instrumentiste et compositeur Antoine Berthiaume nous propose rien de moins que la trame sonore d’un film qui n’existe pas, avec ses plans panoramiques, ses intérieurs clairs-obscurs et ses personnages qui transpirent sous le soleil exactement. Tout cela se déplace tranquillement, comme si un excès de mouvement constituait pour nos protagonistes une dépense d’énergie potentiellement fatale.
Si les titres soulignent la filiation far-west (Alamo, Tumbleweed, Tombstone, Éperons d’argent), Berthiaume et compagnie ont le don de taquiner les clichés sans céder tout à fait à la tentation du pastiche de Il était une fois dans l’Ouest. Leur film à eux est forcément américain, mais nous vient d’une Amérique qui n’aurait pas perdu la capacité de raconter de nouvelles histoires en s’inspirant de ses vieilles mythologies.

Publicité

La France déploguée

Je ne suis pas certain qu’il faille prêter une connotation particulière au «nouveau» de la nouvelle chanson française, cette étiquette (ou ce sac fourre-tout) que l’on emploie pour désigner tout ce qui pousse en marge du gros rock et de la culture hip hop made in France. D’ailleurs, depuis le temps qu’on la qualifie de nouvelle (on en parlait à l’époque du premier disque de Thomas Fersen, et même aux premières années de Souchon), ladite chanson a eu le temps de se faire des cheveux blancs. Il serait donc trompeur de chercher le fil conducteur qui relie la douzaine d’artistes que l’on retrouve sur la compilation Acoustic France (Putumayo).

Sûr, comme le titre l’indique, on y constate une certaine prédisposition pour les instruments déplogués, les guitares à la Django et les clarinettes à la Claude Luter, une certaine façon désinvolte d’assumer sa mélancolie (qui rappelle, plus que tout, l’univers de Rezvani, le saint patron des «nouveaux chanteurs français»), mais de là à y voir un genre musical?

Ce qui est clair, c’est que comme d’habitude, les gens de Putumayo nous ont conconcté un programme qui s’écoute comme on boirait un petit rosé sous les platanes, dosant savamment l’humour des Escrocs (Assedic, une bossa nova délicieusement kitsch qui pique tous ses procédés au Pierre Barouh des belles années), le chagrin à fleur de peau de Rose (Sombre con), et la séduisante légèreté de Sandrine Kiberlain (Le quotidien), une auteure-compositeure qui mériterait une large part de l’attention que l’on consacre à la très médiatique première dame Carla Bruni, dont le Raphaël («Quatre consonnes et trois voyelles/C’est le prénom de Raphaël») reflète, pour le meilleur ou le pire, l’influence du minimalisme gainsbourgien.

S’il renferme peu de surprises pour ceux qui suivent le moindrement la scène française, Acoustic France a visé juste en rassemblant Rupa & The April Fishes, Thomas Dutronc, Romane et JP Nataf, entre autres pourvoyeurs de chansonnettes à la fois actuelles et intemporelles – et juste assez Frenchy pour séduire les francophiles parmi nos copains anglophones.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur