Heureux mariage de fiction et de réalité

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Publié 06/09/2011 par Paul-François Sylvestre

En 1885, l’épidémie de la variole contamina vingt mille personnes à Montréal et dans les villages avoisinants. Sur ce nombre, il y eut près de six mille morts; 91% des victimes étaient des Canadiens français et 86% d’entre elles des enfants de moins de dix ans. Voilà le contexte qui tient lieu de toile de fond au roman Jours de tourmente. Montréal au temps de la variole, de Marie-Claude Boily.

Passionnée par le patrimoine ethnologique et les pratiques culturelles traditionnelles du Canada français, Marie-Claude Boily s’intéresse à l’histoire populaire des XIXe et XXe siècles.
Jours de tourmente est son premier roman. Il a les atouts d’un best-seller: personnages solidement campés, intrigue joliment ficelée, mise en contexte historique adroitement réussie.

Le récit commence à l’automne 1884, dans un quartier ouvrier de Montréal où habite la famille Lavoie. Comme toutes les jeunes femmes de son âge, Amélia rêve de se construire une vie heureuse et se demande si, pour cela, elle doit suivre le chemin qu’on a tracé pour elle.

Une première relation lui apprend que l’amour, même le plus sincère et le plus profond qui soit, peut dissimuler de cruels secrets.

Au moment où la variole commence à faire des victimes, Amélia rencontre Victor Desmarais, un homme issu de la haute société de Québec. Il s’éprend vite d’Amélia mais son régiment est appelé à aller «faire la guerre aux Sauvages» dans l’Ouest canadien où Louis Riel empêche le lieutenant-gouverneur William McDougall d’entrer dans le territoire de Rupert.

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Thomas Scott et ses amis orangistes de l’Ontario volent au secours de McDougall. Scott est capturé et pendu sur l’ordre de Riel, «ce qui avait déclenché une tempête de haine en Ontario et plus particulièrement chez les orangistes, anticatholiques et antifrancophones».

Durant ce temps, à Montréal, la vaccination contre la variole suscite tout un débat. Les anglophones se font vacciner mais les francophones, eux, préfèrent prier. «Une messe spéciale avait été chantée à [la cathédrale] Notre-Dame pour invoquer saint Roch, le patron des maladies contagieuses.»

Les curés, les médecins, les autorités civiles, les journalistes, aucun ne s’entend sur ce qu’il faut faire. «Le moindre soupçon devenait une certitude, et l’affolement qui les gagnait se faisait aussi contagieux, sinon plus, que la maladie elle-même.»

Le médecin de la famille Lavoie ne croit pas à la vaccination. Il prône une saine alimentation et l’air frais. Amélia et sa sœur ne partagent pas cet avis et se font vacciner en cachette. Le médecin ne peut pas se douter que la prochaine année sera marquée «à tout jamais par l’horreur et le chagrin».

L’auteure raconte qu’à l’église Saint-Jacques, un prédicateur ne s’était pas gêné pour admonester ses paroissiens: «Dieu avait été offensé par les péchés commis par les Montréalais, prompts à se vautrer dans les plaisirs de la chair et du vice, notamment pendant le carnaval d’hiver. La colère de Dieu retombait maintenant sur ses enfants. Au péché, Dieu répondait par la mort.»

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Marie-Claude Boily truffe son roman d’anecdotes historiques qui s’insèrent subtilement dans les dialogues ou les échanges de lettres.

Elle peint aussi un solide portrait de la famille canadienne-française des années 1880. Le roman montre comment les filles doivent faire davantage d’effort que les garçons. «Elles devaient, dès l’enfance, être plus obéissantes, plus débrouillardes, plus travailleuses, plus sérieuses et plus soignées que les garçons.»

Selon le père d’Amélia, «les femmes n’ont pas l’entendement qu’il faut pour se raisonner sur ces affaires-là [variole et vaccination]. Elles sont trop impressionnables et se morfondent à rien.» Selon Amélia, «les hommes sont plein de bonnes intentions, mais dès qu’ils ouvrent la bouche, ils ne font souvent qu’empirer les choses.»

Amélia est le personnage central du roman mais ses parents, ses sœurs, ses frères, sa cousine, sa tante et ses amies jouent tous un rôle de soutien auprès de celle qui se demande de plus en plus si «l’amour occasionne plus de problèmes que d’agrément…»

Déchirée et désillusionnée, Amélia ne pourra compter que sur elle-même pour trouver la force de surmonter les épreuves que le destin lui réserve.

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Marie-Claude Boily, Jours de tourmente. Montréal au temps de la variole, roman, Montréal, VLB éditeur, 2010, 496 pages, 29,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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