Groupe Zanzibar: l’étoile filante du cinéma soixante-huitard

Rétrospective à la Cinémathèque Ontario

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Publié 06/11/2007 par Aline Noguès

Barcelone, septembre 1969. Une femme avale goulûment son repas et, après plusieurs minutes de tête à tête avec un spectateur intrigué, prend une feuille de papier et proclame: «Cette soirée sera la fin de la signification.» Cette femme, c’est Jackie Raynal. Elle est actrice. Elle est réalisatrice. Et elle signe en cette période troublée des années soixante un des films-clés du groupe Zanzibar: Deux Fois.

Le groupe Zanzibar est le nom que se sont donné plusieurs cinéastes à la fin des années 1960. Leur production, aussi déconcertante qu’éphémère, avait presque sombré dans l’oubli. Jusqu’à ce que Jackie Raynal, une des figures de proue de ce mouvement, lève des fonds pour tirer de nouvelles copies de ces films.

Récemment, un livre a même été publié à leur sujet: Les Films Zanzibar et les dandys de mai 1968, de Sally Shafto. La cinémathèque Ontario a donc profité du moment pour programmer une rétrospective de ces oeuvres. Elles seront diffusées du 2 au 10 novembre.

Andréa Picard, programmatrice à la cinémathèque, est heureuse de diffuser ces oeuvres. «Ces films ont vraiment une grande importance, même s’ils sont très mal connus. Cette semaine, ce sera la première fois en Amérique du Nord que ces copies vont être présentées.»

Mais pourquoi ce drôle de nom? «Cela fait référence au Zanzibar, vu par eux comme une terre promise de pureté, d’une vérité qui n’existe pas dans le monde capitaliste. C’est une utopie à laquelle ils aspiraient.»

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«Ils», c’est Philippe Garrel, le chef de file du mouvement, mais aussi Alain Jouffroy, Daniel Pommereulle, Bernadette Lafont, Patrick Deval, Jackie Raynal, Michel Fournier, Serge Bard, etc. Les films ont été produits en 1968-1969 par des réalisateurs, acteurs… inversant volontiers les rôles dans leurs productions respectives.

Au total, quinze films environ ont vu le jour, réalisés en quelques semaines, quelques jours parfois. Ce fut le cas pour Deux fois, tourné à Barcelone en neuf jours seulement.

Difficile pour les profanes de pénétrer le monde abstrus de ces cinéastes. La raison ne sait à quoi s’accrocher, les réalisateurs semblent au contraire explorer tout ce qui s’y oppose. Quitte à frôler une sorte de folie ou de délire extatique provoqué par une consommation de drogue… comme on le sent dans Le Lit de la Vierge, de Philippe Garrel.

Les films du groupe Zanzibar sont minimalistes, austères. Ils se composent souvent de longs plans-séquences, se succédant sans lien logique apparent. Il n’y a pas de continuité de la narration.

Dans Deux fois, film quasiment muet, une fillette à l’air apeuré joue avec un journal. Dans la séquence suivante, la caméra montre la réalisatrice-actrice s’amusant avec un miroir, puis achetant du savon dans une pharmacie.

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Une autre fois, la caméra se braque longuement sur une rue de Barcelone, puis se met à tourner sur elle-même, créant un effet destabilisant. Longs plans-séquences, plans à 360 degrés, interpellation du spectateur apostrophé dans le confort de son fauteuil… Le groupe Zanzibar n’aime pas les conventions!

«Pour ces cinéastes, explique Andréa Picard, il fallait provoquer. Leur but était de radicaliser le cinéma, de faire des oeuvres d’art qui transformeraient la manière de raconter une histoire. Ils ont voulu retourner à zéro, détruire l’image, rejetter l’idée même d’auteur.»

Ce mouvement peut faire penser à la Nouvelle Vague mais la comparaison ne tient pas longtemps. Si certains membres ont fait partie de ce courant, ils ont ensuite voulu aller plus loin, se tenir à l’écart de la société, quand la Nouvelle Vague était embrassée par le public.

«Leur engouement a commencé avec la politique, idéalisant le maoïsme, dénonçant la bourgeoisie, le capitalisme. C’est ensuite devenu une révolution esthétique.»

Leurs films, radicaux, puisent leur inspiration, entre autres, dans le mouvement d’Andy Warhol (Olivier Mosset et Nico – la muse de Philippe Garrel – ont passé du temps dans la fameuse Factory) et dans le courant surréaliste de Dali, Cocteau…

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Après deux années de production intensive, les oeuvres du groupe Zanzibar sont tombées dans l’oubli. «En effet, rappelle Andréa Picard, pour eux, il était plus important de créer que de vendre. Ils ne créaient pas des films commerciaux et ne faisaient pas partie des réseaux de distribution. Ils étaient vraiment à l’écart de la société. C’était une bande à part.»

Les cinéastes Zanzibar ont rapidement tourné la page de leur aventure créatrice pour explorer d’autres voies et suivre leur propre chemin. Un peu à l’image de cette révolte de mai 1968, qui a clos une époque pour en ouvrir une autre. «Ils étaient devenus comme une famille puis, peut-être, sont devenus adultes. Leur oeuvre fait partie d’un contexte historique où les gens voulaient changer le monde. C’était un moment à saisir.»

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