Gilles Jobidon sait ciseler les mots pour en faire des envolées poétiques

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Publié 30/05/2006 par Paul-François Sylvestre

Gilles Jobidon vient de publier un ouvrage intitulé Morphoses. Le livre ne dit pas s’il s’agit d’un roman ou d’un récit poétique. Les données de cataloguage (que personne ne lit) indiquent que le livre fait partie de la collection «La voie des poètes», mais le communiqué qui accompagnait mon service presse parlait plutôt de récits au pluriel. Récits qui déclinent les mots désirs, blessure, solitude, deuil et lumière en plusieurs tableaux.

Dès les premières lignes, le narrateur écrit qu’«à l’heure de ces mots, je suis rangé de l’autre côté de la clôture de ton quotidien». À qui ou de qui parle-t-il? De l’être cher: «tu es ancré dans mon cœur», lit-on à la page suivante. Deux hommes que la mort sépare. Deux hommes qui n’ont jamais su quand l’amour a commencé. «On sait toujours qu’il s’évanouit, comme une vague, si déferlante soit-elle, finit par se coucher sur la grève, docile comme un mouton de mer.» Tous les mots du livre de Gilles Jobidon baignent dans les eaux de l’amour, de l’espoir, des armes secrètes, ultimes. «La chair des mots, leurs arcanes vermeils.»

Les récits qui composent Morphoses ne totalisent que 100 pages, dont 30 sont entièrement blanches. Plusieurs ne présentent que deux, trois, quatre ou cinq mots. Une économie de mots, donc, souvent finement saupoudrés sur la grève, au grand air.

Des mots brillamment ciselés, des envolées poétiques – «Ta peau sertie au fond de mon âme.» – parfois poético-érotiques:  «Dans cette pluie d’opales qui a giclé de toi un peu sur mes hanches, un peu sur ton ventre, du geste de ta joie, tout l’Orient des siècles.»

L’écriture de Gilles Jobidon est sublime, elle sait étonner, voire surprendre. Il décrit, par exemple, comment l’être cher goûte les petits cadeaux épars, presque invisibles, que lui lance la vie: «les courbes d’une citrouille, la langueur des jours sans soleil, le grisant des fumerolles d’un matin qui monte au ciel». Puis il ajoute que toutes ces choses hors prix ne coûtent rien, «ne coûtent que la vie». Quel beau jeu d’opposition!

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Mais cela n’est que de la petite bière. L’auteur sait mâter les mots pour leur donner une force de frappe encore plus vigoureuse. En voici un exemple qui devrait trouver sa place dans le dictionnaire des citations littéraires: «Dieu doit être très laid pour avoir créé tant de beauté.»

J’ai n’ai pas pu m’empêcher de noter quelques tournures très canadiennes-françaises, dont celle-ci: «Elle bumme des trente sous.» (On sait qu’un trente sous est une pièce de vingt-cinq sous.) Gilles Jobidon aime inventer des mots ou s’adonner à des jeux de mots. Il écrit «mots à maux», «une bouchée de temps flammé», «nommer, c’est normer», «qui perd connaissance dans la nuit, qui s’évanuit». Le plus beau mot inventé par l’auteur demeure «sébastianisé», comme dans «sébastianisé de douleurs» (on sait que Saint Sébastien a été transpercé de flèches).

Je vous signale, en terminant, que l’artiste Gilles Prince a transposé Morphoses à l’intérieur d’une exposition qui présente les textes gravés à même le bois de retables et rehaussés de caractères de plomb. Les estampes numériques, ainsi qu’une version des textes en braille, sont enchâssées à l’intérieur de boîtiers à caractère monumental. L’exposition a reçu la mention d’honneur du jury lors de la Biennale internationale du livre d’artiste de Repentigny en 2005.

Gilles Jobidon, Morphoses, récits, Éditions de L’Hexagone, collection «La voie des poètes», Montréal, 2006, 104 pages, 14,95$.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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