Empoisonnement au mercure: 50 ans plus tard, trois fois plus de suicides

À Grassy Narrows dans l'Ouest de l'Ontario

environnement, santé, suicides
Un empoisonnement au mercure dans une rivière de l'Ouest ontarien, il y a 50 ans, continue d’avoir des retombées sur la santé mentale et physique des membres de la communauté. Photo: Première nation de Grassy Narrows
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Publié 14/03/2024 par Léonie Rioult

Un empoisonnement au mercure dans une rivière locale survenu il y a plus de 50 ans continue d’avoir des retombées: il y a eu trois fois plus de suicides chez les adolescents d’une communauté autochtone de l’Ontario que chez les autres Premières nations du Canada, révélait une étude en juillet dernier.

Un impact humain et environnemental qui a affaibli toute une communauté et qui pourrait n’être que la partie émergée de l’iceberg.

La papetière Dryden Chemical

De 1962 à 1975, l’ancienne papetière Dryden Chemical avait déversé 9000 kilogrammes de mercure dans le lac où s’approvisionnait la communauté de Grassy Narrows, une réserve et une nation du peuple ojibwé dans l’Ouest ontarien au Nord de Kenora.

C’est ce dont sont venues parler le 16 février, au Cœur des sciences de l’UQAM, les quatre signataires de l’étude de juillet 2023.

L’une des quatre femmes est membre de la communauté de Grassy Narrows, les trois autres sont chercheuses au Centre interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement de l’UQAM. Toutes quatre ont remporté le prix de Scientifiques de l’année de Radio-Canada en janvier.

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Aucun suicide avant 1970

L’étude avait confirmé ce dont on se doutait depuis longtemps: les enfants de pêcheurs, dont les mères mangeaient du poisson pendant la grossesse, étaient plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé mentale ou des problèmes émotionnels et comportementaux. Le mercure s’est transmis par le cordon ombilical.

«Ils travaillaient le poisson, c’était le centre de leurs vies, de leurs traditions et aussi leur gagne-pain», a raconté lors de la conférence la neurophysiologiste Donna Mergler.

Ces problèmes mentaux ont eu de graves conséquences sur la génération des enfants nés dans les années 1970-1980: pas moins de 41% des adolescentes et environ 10% des adolescents ont commis une tentative de suicide. Avant 1970, aucun suicide n’avait été enregistré à Grassy Narrows.

On remarque de plus que le problème touche plus les jeunes filles, alors que traditionnellement, au Canada, ce sont les hommes et les garçons qui présentent le risque de suicide le plus élevé (cette tendance pourrait toutefois s’être inversée ces dernières années chez les jeunes).

Mauvaise santé physique

En plus des problèmes de santé mentale, les habitants de Grassy Narrows souffrent de problèmes physiques. L’étude observait que lorsque l’on demande aux habitants s’ils se sentent en bonne santé, seuls 20% répondent positivement.

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C’est deux fois moins que chez les Premières nations en général, et trois fois moins que chez les non-autochtones canadiens.

On sait depuis longtemps que, parmi les problèmes associés à un empoisonnement au mercure, figurent un plus haut risque de développer des maladies chroniques, des allergies, des problèmes d’estomac et d’intestin, des douleurs articulaires, des problèmes auditifs et visuels.

Effondrement?

Pour Judy Da Silva, coordonnatrice en santé environnementale pour la communauté de Grassy Narrows et cosignataire de l’étude, les conséquences de cet empoisonnement ne sont que la partie émergée de l’iceberg qui nous attend comme société.

Au cours de la conférence du 16 février, elle se projetait dans le futur en imaginant une multiplication de tels types d’empoisonnements dans toutes sortes de communautés ailleurs dans le monde: «ces empoisonnements, ces dévastations environnementales, ne peuvent durer qu’un temps avant l’effondrement de la société humaine».

Auteurs

  • Léonie Rioult

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

  • Agence Science-Presse

    Média à but non lucratif basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada.

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