Pour célébrer les cinq premières années d’opération de la Collaboration Alpha Magnetic Spectrometer (AMS-02) à bord de la Station spatiale internationale, le professeur Sam Ting vient de présenter ses derniers résultats lors d’un récent séminaire tenu au CERN. Avec plus de 90 millions d’évènements recueillis dans les rayons cosmiques, ce groupe dispose des données les plus précises sur une vaste gamme de particules trouvées dans l’espace.
La question qui intrigue de nombreux scientifiques est de savoir s’ils pourront résoudre l’énigme de l’origine de l’excès de positrons trouvés dans les rayons cosmiques.
Les positrons sont l’antimatière des électrons. Étant donné que nous vivons dans un monde fait presque uniquement de matière, les scientifiques se demandent depuis plus d’une décennie d’où émanent ces positrons. Il est bien connu que des positrons sont produits lorsque les rayons cosmiques interagissent avec la matière interstellaire, mais on en observe bien plus que ce à quoi on s’attendait de cette seule source.
Destruction de matière sombre
Des hypothèses diverses ont été formulées pour expliquer l’origine de ces positrons excédentaires. Une des plus fascinantes suggère que ces positrons pourraient venir de l’annihilation de particules de matière sombre.
La matière sombre est une nouvelle forme de matière invisible qu’on détecte dans l’Univers par ses effets gravitationnels. La matière régulière, tout ce que nous voyons sur la Terre, mais aussi dans les étoiles et les galaxies, émet de la lumière lorsque chauffée, tout comme une pièce métallique irradie à haute température.
La matière sombre n’émet aucune lumière, d’où son nom. Elle serait cinq fois plus répandue que la matière régulière. Personne ne le sait encore, mais on soupçonne que cette matière, tout comme la matière ordinaire, soit faite de particules, mais on n’a toujours pas capturé de particules de matière sombre.
Mais si de telles particules existaient, elles pourraient s’annihiler entre elles, produisant des électrons et des positrons, ou des paires de protons et d’antiprotons. Si un tel processus était établi, cela confirmerait enfin l’existence de particules de matière sombre et révèlerait quelques indices sur leurs caractéristiques.
Pulsars
Une explication alternative, mais moins exotique, serait que l’excès observé de positrons provienne de pulsars. Les pulsars sont des étoiles à neutrons ayant un fort champ magnétique et qui émettent de la lumière pulsée. Mais la lumière est faite de photons et les photons peuvent eux aussi produire des paires d’électrons et de positrons. Donc, les pulsars tout comme l’annihilation de matière sombre, fournissent une explication plausible quant à la source de ces positrons.
La Collaboration AMS espère avoir assez de données pour distinguer les deux hypothèses d’ici à 2024, date à laquelle la Station Spatiale Internationale cessera ses opérations. À ce jour, les deux hypothèses sont toujours valides étant donné la taille des erreurs expérimentales.
L’hypothèse de la matière sombre peut aussi être testée d’une autre façon. En interagissant avec la matière interstellaire, les rayons cosmiques produisent non seulement des positrons, mais aussi des antiprotons. Les annihilations de matière sombre pourraient aussi en produire, mais pas les pulsars. Il faut donc déterminer s’il y a ou pas plus d’antiprotons dans l’espace que ce que les rayons cosmiques peuvent produire.
Si c’était établi, ce serait un argument de plus contre l’hypothèse des pulsars. Mais pour ce faire, il faut savoir précisément comment les rayons cosmiques se propagent et interagissent avec la matière interstellaire.
Antiatomes d’hélium
La Collaboration AMS pourrait nous réserver une autre belle surprise: la découverte d’antiatomes d’hélium dans l’espace. Étant donné l’extrême difficulté à produire une particule d’antimatière plus complexe qu’un antiproton, les scientifiques d’AMS devront trier d’énormes quantités de données et réduire toutes les erreurs expérimentales encore davantage avant qu’une telle découverte ne puisse être établie.
La découverte d’antihélium, ou celle d’un excès d’antiprotons ou encore la résolution de l’énigme des positrons, tout cela vaut bien la peine d’attendre encore quelques années. AMS a du pain sur la planche!