Des monstres et des hommes

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Publié 08/02/2011 par Gabriel Racle

On peut se demander pourquoi l’imaginaire humain recèle autant de figures étranges, reproduites graphiquement ou mentionnées dans des écrits, que leurs auteurs n’ont jamais vues, puisqu’elles n’existent pas dans la réalité, mais bel et bien dans les imaginations.

Un monde étrange

Ce monde imaginaire est peuplé d’êtres étranges, qu’il s’agisse d’humains déformés ou aux étranges appellations, comme les hommes-scorpions de l’Épopée de Gilgamesh, ou d’animaux qui composent un bestiaire extraordinaire dont on a rarement l’occasion de voir des représentations.

Un surprenant livre comble cette lacune et suscite aussi la réflexion: Christopher Dell. Monstres. Un bestiaire de l’étrange, Seuil, 2010, 192 p., 140 illustrations en couleur, relié, collection Beaux Livres. «Les monstres nous ont toujours intrigués», écrit l’éditeur. L’ouvrage offre de quoi satisfaire cette curiosité.

L’auteur a classé ses monstres par catégories, ce qui permet de s’y retrouver dans cet univers bizarre et multiforme: Les monstres et les dieux, Diables et démons, Monstres magiques, Dragons et monstres volants, etc. Pour chacune de ces dix catégories, on trouve un texte explicatif et des représentations répertoriées.
Une histoire surprenante

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Les monstres font depuis longtemps partie de l’histoire humaine. On a trouvé des représentations monstrueuses dans des grottes. L’une des premières représentations connues date de la période -17 000 à -10 000 (le Magdalénien) et se trouve en France, à Lascaux: on voit un homme à tête d’oiseau. Ailleurs, dans la grotte des Trois Frères, on découvre deux êtres mi-homme mi-animal (thérianthropie ou zooanthropie).

Bien d’autres ont suivi, comme des dieux égyptiens ayant un corps d’homme et une tête d’animal: Anubis à la tête de chien, Râ à la tête de faucon, Sekhmet à la tête de lionne (envoyée par Râ pour détruire l’humanité, comme le déluge mésopotamien), ou seulement mentionnés dans des textes: Humbaba, gardien de la forêt des cèdes dans l ‘Épopée de Gilgamesh (Son cri c’est l’Épouvante, Sa bouche c’est du Feu, Son haleine, la Mort).

On en retrouve même dans la Bible. Dans le récit mythique du jardin d’Éden, l’animal, serpent ou dragon, qui persuade Êve de manger du fruit de l’arbre, ne rampait pas. C’est IHVH-Adonaï qui le condamne à ramper. Difficile d’imaginer cet animal. La Bible mentionne aussi Léviathan (illustration), monstre marin, Béhémoth, monstre aquatique, et la bête à sept têtes et dix cornes de l’Apocalypse.

Diables et magie

L’introduction dans les croyances des diables ne pouvait que donner lieu à de multiples représentations de ces personnages. L’ouvrage présente plusieurs de ces figures sataniques. Et penser que ces êtres avaient des émissaires terrestres en la personne des sorcières a fait galoper les imaginations. Et l’on peut poursuivre la série historique et représentative, avec une floraison de créatures dont certaines sont propres à vous faire hérisser les cheveux sur la tête. Il suffit de tourner quelques pages du livre de Dell avant de vous endormir pour faire des rêves hauts en couleurs,
Une explication?

Y a-t-il une explication à ces délires imaginaires? Il faut d’abord apporter quelques précisions. Le mot monstre vient du latin monstrare, montrer. Le monstre, au départ, est l’être que l’on montrait, parce qu’il représentait une anomalie dans l’ordre de la nature, comme un veau à deux têtes ou autres animaux ou humains que l’on exhibait autrefois dans les fêtes foraines, contre écus sonnants.

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Les créatures qui sortent de l’imagination sont d’abord des créatures fantastiques, provenant de l’imaginaire humain. Mais étant hors normes, comme les monstres, les deux catégories se sont en quelque sorte intégrées pour n’en former qu’une monstrueuse.

Mais quelle raison explique ce «démarquage» de productions naturelles anormales? D’autant que cette tendance se poursuit de nos jours, en littérature chez Stephen King (Ça, monstre souterrain), Michel Piquemal et Christophe Blain (King Kong) ou Harry Potter; en peinture, Francisco Goya (Les Disparates), Jérôme Bosch (Le Jardin de délices) ou dans des films (Killer Crocodile. King Komg), pour ne donner que quelques exemples.

Vaincre les peurs

Et si ces monstres, anciens ou modernes, avaient une fonction, une fonction cathartique en quelque sorte, pour évacuer les peurs, les angoisses des humains devant l’inconnu, le mal, la terreur?

Exprimer ce que l’on craint, c’est réduire ses peurs. Et lorsque ce que l’on craint n’a pas de forme connue, quoi de mieux que de lui donner les traits d’animaux étranges, qui combinent des formes connues pour produire un être maléfique imaginaire que l’on veut éloigner.

Le chapitre consacré à «L’Art de tuer les monstres» illustre ces propos, avec les figures bien connues de Saint Michel terrassant le démon, de Saint Georges le dragon. C’est le rôle de tous les héros des épopées, auxquels chacun peut s’identifier.

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Et c’est aussi le rôle de ces anti-monstres que sont les figures légendaires lénifiques, également invraisemblables, comme des anges avec des ailes ou ces saints vainqueurs nimbés d’une auréole. La lecture du livre de Dell suscitera de nombreuses réflexions.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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