Des silures et des hommes

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Publié 12/02/2008 par Pierre Léon

La Vienne, jolie rivière tourangelle, a des allures paisibles, voire paresseuses en été. Juste en face la vénérable Institution Saint-Joseph, le goujon abonde alors. Il se sent là sous la protection divine, jusqu’à ce que Séverine et moi intervenions! Je dois avouer que moi, je suis surtout employé à mettre le ver sur l’hameçon et à décrocher la prise. Plus tard, on raconte les exploits de ma petite fille et le nombre de ses prises augmente en fonction du public.

L’hiver, la Vienne se prend pour un grand fleuve et déborde à flots dans les prés environnants. On a l’impression que le menu fretin disparaît alors, avalé par des monstres venus de lointains pays, tels ces silures de la Volga qui ont remonté les grands fleuves d’Europe pour envahir les eaux françaises et rendre jaloux les modestes poissons-chats de leur famille.

On vient de pêcher justement dans la Vienne, un silure de belle taille – deux mètres cinquante, selon la Nouvelle République, qui en donne pour preuve une impressionnante photo. J’ai entendu, plusieurs fois depuis, le fait véridique raconté avec bien des variantes au bistrot du coin, aussi bien qu’au Café de la Paix, où le tout Chinon se donne rendez-vous.

Surtout depuis que les Jolicoeur* québécois y rencontraient les Bacheliers et autres pécheurs Chinonais, pour y boire un coup de breton, ce délicieux cabernet franc, célébré par Rabelais. Tout conteur ou raconteur est toujours un peu menteur. C’est le propre du discours rapporté et la littérature n’existe que grâce au mensonge.

La taille du silure raconté peut varier de deux mètres, pour les modestes, à trois pour les vantards, et selon que l’on a peu de mémoire ou beaucoup d’imagination. Tous les pêcheurs et chasseurs du monde le savent bien. On se rappelle Tartarin de Tarascon**!

Quand l’histoire racontée enfle suffisamment, elle devient mythe. Le monstre du Loch Ness sortant du fleuve, et qui est aperçu périodiquement par les Écossais, est à mi-chemin entre légende et plaisanterie. Ils n’y croient plus guère mais entretiennent le mythe pour le plaisir du folklore.

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Les marins qui, autrefois, rencontraient des sirènes, ou ceux des temps bibliques voyant Jonas sortir de sa baleine, sont devenus rares. Nous vivons au temps de la désacralisation. C’est le côté triste de l’époque scientifique. Heureusement, on a encore les récits des pêcheurs de silures et des chasseurs de sangliers pour nous faire rêver. Sans parler du merveilleux des religions!

Jésus se déplaçant sur les eaux du Jourdain, même quand c’est la saison sèche, fait encore marcher l’imagination des croyants. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’on va bien loin chercher le miracle alors qu’il est inscrit dans la nature.

Le viticulteur qui sème un pépin de raisin le voit se transformer en un plant portant bientôt le raisin qui donnera du vin. Pourquoi donc faut-il alors que Jésus se donne la peine de nous faire croire qu’il a transformé de l’eau en vin si ce n’est pour satisfaire le besoin du mythe de toute religion. Cette eau changée en vin a de quoi faire rêver les bons Tourangeaux et bien des buveurs dans le monde!

*Pierre Léon, Sur la piste des Jolicoeur, VLB, Montréal; Interforum, Paris ; Prix Rabelais 1995.
**Alphonse Daudet
, Tartarin de Tarascon, Paris, 1872.

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