Ottawa rate sa cible en immigration francophone «par manque d’intérêt»

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Le Commissariat aux langues officielles constate l’échec du ministère canadien de l’Immigration d’atteindre la cible de 4,4 % d’immigration francophone hors Québec, chaque année depuis 2008. Photo: iStock.com/Tony Studio
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Publié 05/12/2021 par Inès Lombardo

Dans une étude parue en novembre, le Commissariat aux langues officielles (CLO) constate l’échec d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), passé à côté de sa cible de 4,4% d’immigrants francophones accueillis à l’extérieur du Québec chaque année depuis 2008.

Malgré cette conclusion, certains continuent de souligner les «efforts» du ministère, tandis que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) en demande davantage du ministre Sean Fraser.

La fameuse cible de 4,4% d’immigrants

Dans son étude publiée le 30 novembre, le Commissariat rappelle que la population francophone hors Québec représentait 4,4% de la population canadienne en 2001.

Pour assurer le maintien du poids démographique de cette frange de la population, ce pourcentage est devenu une cible pour l’immigration francophone hors Québec, à atteindre dès 2008.

La cible a ensuite été repoussée à 2023. Et, fin 2021, «à l’approche de sa nouvelle échéance», le CLO constate qu’«il est incertain que la cible sera atteinte».

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Plus de 75 000 immigrants «perdus»?

Dans son rapport, le commissaire Raymond Théberge estime que «si l’on considère les manques à gagner accumulés non pas depuis 2001, mais depuis 2008, année d’échéance initialement prévue au moment de fixer la cible en 2003, cela représente environ 75 839 résidents permanents d’expression française de plus qu’il aurait fallu admettre à l’extérieur du Québec au-delà des admissions réelles de 49 853».

Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles du Canada
Raymond Théberge

En d’autres mots: au lieu des 49 853 résidents permanents d’expression française à l’extérieur du Québec qui ont bel et bien été admis depuis 2008, il aurait fallu en accepter un total de 125 692 depuis 2008.

Le manque à gagner de 75 839 qui «correspond à la taille d’une ville canadienne moyenne comme North Bay, en Ontario, ou Medicine Hat, en Alberta».

Même 4,4% n’aurait pas été suffisant

Deuxième constat frappant de l’étude: même si la cible de 4,4% avait été atteinte chaque année depuis 2008, «cela n’aurait pas été suffisant pour maintenir le poids démographique de la population d’expression française à l’extérieur du Québec, et encore moins pour contribuer à sa croissance».

Pour Aurélie Lacassagne, politologue et professeure invitée à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales (ÉSAPI) de l’Université d’Ottawa, cette étude du CLO ne nous apprend rien de nouveau. Pour la Franco-Ontarienne, non seulement le gouvernement n’a aucune stratégie, mais il a aussi «des problèmes de tuyauterie».

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Surtout «quand on sait qu’il n’y a qu’un seul bureau d’immigration canadien, à Dakar, pour toute l’Afrique subsaharienne… Et que celui des Algériens est en France!»

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Logiciel défaillant

Une situation dont le «ridicule», selon elle, est amplifié par des outils techniques défaillants, comme le logiciel utilisé pour sélectionner les immigrants.

Elle cite l’exemple des étudiants francophones de certains pays africains, dont le taux de refus est plus élevé que des étudiants d’autres pays. Ces personnes pourraient potentiellement s’installer dans la francophonie canadienne.

L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) avance que près de 91% des étudiants internationaux francophones hors Québec «ont l’intention de chercher un emploi au Canada après avoir terminé leur programme d’études» et que «92% habitent toujours au pays après avoir terminé leur programme d’études».

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Selon Aurélie Lacassagne, ce sont des problèmes chroniques au niveau d’IRCC qui empêchent le gouvernement d’atteindre sa cible.

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Aurélie Lacassagne

L’argent est là

Selon Alain Dobi, directeur du Réseau en immigration francophone de la région Centre-Sud-Ouest de l’Ontario (RIFCSO), la pierre n’est pas à lancer au ministère. «Il y a des espaces de rencontre entre IRCC et les communautés francophones en situation minoritaire. Oui, on sait que la cible est manquée, mais le ministère a fait des efforts.»

Il met de l’avant les divers programmes qui ont été créés pour favoriser l’atteinte de la cible de 4,4%, notamment Entrée express en 2015.

Il mentionne également la bonification de candidatures francophones ou bilingues; la promotion d’IRCC et des communautés francophones en situation minoritaire pour attirer des candidats; la reprise du Programme de mobilité internationale – Mobilité francophone.

«Il faut continuer dans ce sens», commente simplement Alain Dobi.

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Aurélie Lacassagne fait remarquer que «les fournisseurs de service n’ont jamais reçu autant d’argent pour les programmes d’immigration. Ils font une super job avec cet argent. Mais l’investissement n’est pas à mettre au niveau du recrutement puisqu’on voit que les gens veulent venir au Canada, notamment les étudiants francophones africains.»

Revoir le processus de sélection des immigrants

Selon elle, il faut plutôt revoir la manière dont on sélectionne les immigrants et «commencer par mettre plusieurs bureaux de visas», ironise-t-elle.

Par ailleurs, Aurélie Lacassagne signale que depuis que Justin Trudeau est au pouvoir, seuls des ministres anglophones ont été affectés à l’immigration. Un obstacle de taille pour la compréhension totale du dossier d’immigration francophone, plaide-t-elle. «Ça envoie le signal d’un manque d’intérêt.»

Alain Dobi s’interroge. «C’est vrai qu’on se dit que si le gouvernement est capable de faire rentrer 30 000 réfugiés [en 2019], il est capable d’adopter des mesures plus corsées pour l’immigration francophone.»

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Alain Dobi

La FCFA demande «un changement de volonté politique»

De son côté, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada a réagi au rapport du CLO avec quatre exigences envers le ministre Sean Fraser.

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L’organisme demande:

– une augmentation «substantielle» des niveaux d’immigration francophone ailleurs qu’au Québec dès 2022;

– l’adoption d’une «cible de réparation qui s’appliquera dès 2023»;

– la création d’une politique en matière d’immigration francophone pour faire croître le poids démographique des communautés francophones;

– et davantage d’autonomie pour ces dernières pour recruter et sélectionner des immigrantes et immigrants francophones.

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Quelle serait la cible idéale?

En entrevue avec Francopresse, la présidente de la FCFA, Liane Roy, indique que les 75 839 résidents permanents «perdus» depuis 2008 seront inclus dans la nouvelle cible que la FCFA demande au ministre d’établir, dès 2023.

États généraux, postsecondaire
Liane Roy

Elle révèle toutefois ne pas savoir quelle aurait été la cible idéale à instaurer dès 2008 pour maintenir le poids démographique des francophones hors Québec. La FCFA n’a pas non plus précisé de chiffre pour l’augmentation «substantielle» qu’elle demande dès 2022.

Hormis ses quatre demandes à IRCC, la présidente de la FCFA a simplement rappelé qu’il faut continuer la promotion et le recrutement des francophones dans «tous les pays de la francophonie».

Est-ce une priorité sur la révision des taux d’acceptation d’immigrants potentiellement permanents, tels que les étudiants africains? «Non, il faut faire les deux», précise Liane Roy.

L’une des solutions serait de faire une sélection des immigrants «qui ont une sensibilité envers les francophones. Mais ça prend une volonté politique de changer les choses», conclut-elle.

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