Chronologie du scandale WE: Trudeau et Morneau dans la tourmente

Le rapport du commissaire à l'éthique n'est pas attendu avant plusieurs mois

L'attribution du contrat d'administration d'un programme de 900 millions $ au mouvement WE (UNIS en français), proche du premier ministre Justin Trudeau et du ministre des Finances Bill Morneau, a fait scandale cet été et reste actif. Voici une rétrospective.
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Publié 12/08/2020 par Bruno Cournoyer Paquin

Le 25 juin dernier, le premier ministre Justin Trudeau annonçait que son gouvernement investirait environ 900 millions $ dans une bourse canadienne pour le bénévolat étudiant administrée par l’organisme caritatif WE (UNIS en français).

Dès lors, les critiques fusent sur ce contrat accordé de gré à gré: le premier ministre et son épouse sont eux-mêmes impliqués auprès de l’organisme. Voici une rétrospective sur ce scandale en développement.

Bénévolat… rémunéré

L’objectif de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant consistait à offrir entre 1000 $ et 5000 $ dollars aux étudiants qui s’impliqueraient dans des activités bénévoles, soit 1000 $ pour chaque tranche de 100 heures de bénévolat, pour un maximum de 500 heures.

Immédiatement après l’annonce de l’initiative, les conservateurs dénoncent les liens entre la famille Trudeau et le Mouvement UNIS, un organisme caritatif fondé par les frères Marc et Craig Kielburger, de Toronto, en 1995.

Craig et Marc Kielburger sur la scène d’une We Day (Journée UNIS) à Toronto. Photo: image d’une vidéo promotionnelle sur mouvementunis.org

Justin Trudeau, sa mère, Margaret Trudeau, et son épouse, Sophie Grégoire Trudeau, ont participé à plusieurs évènements organisés par UNIS au cours des dernières années. Selon le site d’UNIS, Sophie Grégoire Trudeau serait aussi une «ambassadrice et alliée» de l’organisme, en plus d’y animer une baladodiffusion.

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Le premier ministre justifie la sélection d’UNIS en soutenant qu’il s’agissait du seul organisme à même de mener à bien le programme, citant la longue implication de l’organisme auprès des jeunes. Il souligne aussi qu’UNIS avait été choisi par les fonctionnaires fédéraux, dans un processus de sélection indépendant du premier ministre

Bardish Chagger

Le 26 juin, le bureau de la ministre de la Diversité, de l’Inclusion et de la Jeunesse, Bardish Chagger, confirme au Toronto Star par courriel qu’UNIS recevra 19,5 millions $ du gouvernement fédéral pour administrer le programme.

Bardish Chagger

Ajoutant à la controverse, Radio-Canada révèle que plusieurs cadres supérieurs et membres du Conseil d’administration d’UNIS auraient démissionné dans les mois précédant l’obtention du contrat avec le gouvernement fédéral.

Le 3 juillet, la ministre Chagger annonce par voie de communiqué qu’UNIS avait décidé de se retirer de l’administration du programme et de retourner les fonds déjà reçus, d’un commun accord avec le gouvernement.

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La même journée, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mario Dion, annonce l’ouverture d’une enquête sur les actions de Justin Trudeau dans ce dossier, après en avoir reçu la demande des députés Michael Barrett (PCC) et Charlie Angus (NPD). Le commissaire tentera de déterminer si le premier ministre a participé à la prise d’une décision dont lui ou un de ses proches aurait retiré un bénéfice.

Margaret et Sacha

Le 9 juillet, on apprend que la mère de Justin Trudeau, Margaret Trudeau, ainsi que son frère, Alexandre «Sacha» Trudeau, auraient été rémunérés pour leur participation aux activités d’UNIS.

Entre 2016 et 2020, Mme Trudeau aurait reçu 250 000 $ pour sa participation à une trentaine d’évènements; alors qu’Alexandre Trudeau aurait été payé 32 000 $ pour son rôle dans huit évènements.

Devant le Comité permanent des finances, le premier ministre affirme ne pas avoir été mis au courant de la relation d’affaires de certains membres de sa famille avec UNIS, ajoutant que ses proches étaient impliqués dans plusieurs organisations caritatives de leur propre chef. Il admet aussi ne pas s’être récusé des discussions entourant l’allocation du contrat à UNIS.

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Du côté de l’opposition, les parlementaires du Parti conservateur et des Néo-Démocrates critiquent ardemment cette nouvelle anicroche éthique de la part du premier ministre ; alors que le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, demande qu’il quitte temporairement ses fonctions.

Bill Morneau

La déferlante se poursuit dans la deuxième semaine de juillet.

Le 11 juillet, c’est au tour du ministre des Finances, Bill Morneau, d’être critiqué pour ses liens avec UNIS. Deux de ses filles seraient impliquées au sein de l’organisation: Clare aurait pris la parole lors de trois évènements de l’organisme alors que Grace Acan y occupe un poste administratif.

Le ministre Morneau admet aussi ne pas s’être récusé des discussions portant sur le contrat avec UNIS. Cinq jours plus tard, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique annonce l’ouverture d’une enquête sur les actions du ministre Morneau dans le dossier UNIS.

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Le 13 juillet, le Globe and Mail rapporte que le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Reagan, et la cheffe de cabinet du gouvernement, Katie Telford, ont tous deux participé à des activités de financement d’UNIS avant l’arrivée au pouvoir des Libéraux en 2015.

Plusieurs médias rapportent aussi qu’UNIS, WE Charity, ME to WE et d’autres composantes du mouvement ont accumulé au fil des années un patrimoine immobilier évalué à 50 millions $.

L’enquête parlementaire

Entre-temps, le Parti conservateur a entrepris la démarche exceptionnelle de demander le témoignage du premier ministre Trudeau devant le Comité permanent des finances. Le Bloc québécois et le NPD se joignent rapidement à la demande des conservateurs.

Dans les jours qui suivent, plusieurs témoins sont entendus par le Comité, révélant de nombreux aspects du processus de prise de décision dans l’affaire UNIS.

Rachel Wernick, une haute fonctionnaire à Emploi et développement social Canada (EDSC), affirme devant le comité qu’elle a pris l’initiative de contacter UNIS au sujet de possibles programmes pour la jeunesse le 19 avril 2020. Elle aurait appris à cette occasion qu’UNIS avait soumis une proposition de projet non sollicitée au début du mois d’avril.

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UNIS aurait alors soumis une proposition révisée le 22 avril, le même jour où Justin Trudeau annonçait des mesures de soutien aux étudiants pour un montant de 9 milliards $.

Créé en 1995 pour lutter contre l’exploitation des enfants, le mouvement WE (UNIS en français), veut mobiliser les jeunes pour «changer le monde». Photo: image d’une vidéo promotionnelle sur mouvementunis.org

20 000 bourses… ou 40 000

C’est éventuellement sur la recommandation de Mme Wernick que l’organisme aurait été proposé pour administrer le programme de bourses de bénévolat étudiant.

De son côté, la ministre Chagger a témoigné devant le comité qu’UNIS aurait pu recevoir jusqu’à 43,5 millions $, plutôt que 19,5 millions $ tel qu’initialement annoncé. L’organisme aurait reçu plus d’argent s’il était parvenu à distribuer 40 000 bourses d’études plutôt que les 20 000 prévues par le contrat.

Le 21 juillet, le greffier du Conseil privé, Ian Shugart, a de son côté souligné qu’il était normal que le premier ministre et le ministre Morneau aient été impliqués dans le processus d’approbation du dossier, puisque l’ampleur des sommes impliquées engageait la responsabilité du gouvernement.

Craig et Marc Kielburger en Afrique. Photos: mouvementunis.org

Voyages au Kenya et en Équateur

La révélation la plus percutante est venue le 24 juillet, de la part du ministre des Finances, Bill Morneau, qui a indiqué au comité avoir remboursé plus de 41 000 $ à UNIS en frais de voyage, pour compenser l’organisme de dépenses encourues lors de voyages effectués avec UNIS au Kenya et en Équateur en 2017.

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Cette révélation a incité le Parti conservateur à exiger la démission du ministre Morneau; alors que le premier ministre annonce qu’il témoignera devant le comité permanent des finances. Les jours suivants voient le Parti conservateur et le Bloc québécois exiger la démission du premier ministre.

Les frères Kielburger témoignent

Le 28 juillet, c’est au tour des frères Kielburger, cofondateurs d’UNIS, de témoigner devant le comité parlementaire.

Ils soulignent d’abord que l’ampleur du programme a été surévaluée, et que 500 millions $ étaient alloués au programme de bourses et non plus de 900 millions $ tel qu’initialement rapporté.

Ils ont aussi nié avoir eu des contacts personnels avec Justin Trudeau. Ils ont aussi affirmé qu’UNIS avait réglé les frais de voyage de Sophie Grégoire Trudeau pour un évènement caritatif de l’organisme à Londres, en mai 2019.

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Le 30 juillet, le premier ministre de témoigne finalement devant le Comité permanent des finances. Justin Trudeau affirme ne pas avoir influencé la décision de sélectionner UNIS pour administrer les bourses de bénévolat étudiantes.

Inquiet de l’apparence de conflit d’intérêts que susciteraient les liens de sa famille avec l’organisme, il ajoute avoir demandé une révision du processus de sélection par la fonction publique, avant de donner son aval à la recommandation le 21 mai.

Enquête

À la fois le premier ministre Justin Trudeau et le ministre des Finances, Bill Morneau, se sont excusés de ne pas s’être récusés du dossier. Ils admettent qu’il y avait une apparence de conflit d’intérêts, mais nient toutefois qu’il s’agissait d’un véritable conflit d’intérêts.

Le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mario Dion, poursuit son enquête sur Justin Trudeau et Bill Morneau. Les résultats de ce type d’enquête sont habituellement connus dans un délai moyen de sept mois.

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Le Comité permanent des finances de la Chambre des communes continue à investiguer. Au cours de la fin de semaine du 8 août, le gouvernement a transmis plus de 5000 pages de documents au comité concernant l’affaire UNIS.

Auteur

  • Bruno Cournoyer Paquin

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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