D’abord, on est interpellé par ce titre, L’échec du matériel, qui annonce un constat inéluctable, celui d’une dérive spirituelle, d’une faillite humaine, d’un vide qui nous aspire tous.
Puis, il y a ces quelques mots chantés à mi-voix, «Avant de disparaître/Dieu vend ses églises». Cela nous parvient alors qu’on roule devant une desdites églises, déjà converties en chic condo (ça se passe à Toronto, mais ça pourrait être n’importe où).
Puis, au gré de ces 12 chansons baignant dans un écho qu’en d’autres circonstances, on pourrait qualifier de réconfortant, Daniel Bélanger sonde ce vide, prend la mesure des dégâts, ausculte le malade sous tous les angles (le fric, l’écologie, la politique, la technologie, les médias). Et ce malade nous est étrangement familier, au point où il n’est jamais besoin de le nommer: dans le propos, il s’appelle «il», «elle», «je», c’est-à-dire nous tous.
Sacrée gageure que celle-là. Rarement une musique aussi lumineuse n’a-t-elle été mise au service d’un regard à ce point lucide dans son pessimisme. Et depuis The Wall, rarement un album aussi profondément angoissé n’a-t-il été plébiscité par un très vaste public (au moment où j’écris, L’échec trône au sommet des palmarès québécois).
On peut évidemment se poser la question de savoir si, entre les mains et dans la voix d’un artiste qui ne jouit pas déjà de la même cote d’amour que Bélanger, pareil message aurait été reçu de telle façon. Sans pour autant douter de la réceptivité du public à ce propos, il est permis d’en douter. À l’exception de Richard Desjardins – dont les ventes, et donc les risques professionnels, sont plus modestes – aucun artiste québécois ou français n’a le loisir de fixer aussi haut la barre sans risquer d’y sacrifier ses acquis.