Cet été, pourquoi ne pas faire un voyage… dans le temps?

En passant par les villages abandonnés de Desauniers, Les Érables ou Lemieux

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Desaulniers était un petit village dans le canton de Gibson situé entre Sudbury et North Bay.
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Publié 22/06/2020 par Michèle Villegas-Kerlinger

Faute de pouvoir voyager très loin cet été, nombreuses sont les personnes qui pourraient chercher des idées un peu originales pour leurs vacances d’été. Si vous avez un petit côté aventurier-explorateur et que l’histoire et les découvertes vous passionnent, pourquoi ne pas faire un voyage dans le temps?

Selon le dernier recensement de l’Ontario (1), il existe 444 municipalités dans la province.

Pourtant, ici comme ailleurs, il existe bien des villes qui, pour toutes sortes de raisons, ont été abandonnées. Voici l’histoire de trois de ces villes, fondées par des francophones, qui pourraient vous transporter dans un ailleurs temporel.

Desaulniers

Desaulniers était un petit village dans le canton de Gibson situé entre Sudbury et North Bay.

Bien que fondé vers 1890 par le père A.L. Desaulniers, le village a été nommé en l’honneur de Sainte-Anne-de-Desaulniers, nom que porterait son église, construite 25 ans plus tard.

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Desaulniers n’était qu’une de plusieurs communautés de la région à être établies par des prêtres francophones dans le but d’encourager des Canadiens français à s’y installer.

À ses débuts, le village ne comptait qu’un bureau de poste et une épicerie (2). Les habitants qui ne travaillaient pas dans une des nombreuses scieries de la région défrichaient la terre l’été et passaient l’hiver dans les chantiers.

La venue en 1913 du Canadian Northern Railway a donné un coup de pouce à l’économie locale et favorisé la construction d’une gare et de la maison du chef de gare (3), de maisons, d’un hôtel, de deux écoles, une publique et une catholique de langue française (4), d’une seconde épicerie, d’une usine de fromage (5), d’une scierie, d’un château d’eau et de l’église.

Chose étonnante, l’évêque du diocèse de Sault-Sainte-Marie, Monseigneur Scollard, un Irlandais francophobe endurci, a refusé de consacrer le lieu de culte sous prétexte qu’on ne l’avait pas consulté. Pourtant, puisque la majorité de ses paroissiens étaient Francophones, l’écclésiastique a dû faire certaines concessions.

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En 1916, l’église a ouvert ses portes et la première messe, servie par C.P. Thériault, a eu lieu en septembre de la même année.

Le village de Desaulniers, dont l’économie dépendait de l’industrie forestière et de l’agriculture, a prospéré jusqu’aux années 1950. C’est alors que les commerces et les résidents ont commencé à se déplacer de plus en plus vers les centres urbains.

Même si une nouvelle école a été construite en 1960 (6), le bureau de poste a fermé ses portes cette même année. Faute d’entretien, de nombreuses structures sont tombées en ruine. D’autres ont été démolies en raison d’une reconfiguration de la route 539 qui a complètement rasé une partie du village qui restait.

Aujourd’hui, à part une cabane délabrée et quelques fondations, on ne verra que l’hôtel vide et les maisons des derniers résidents qui ont refusé de partir.

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Le vieil hôtel abandonné de Desauniers.

Les Érables

Les Érables, situé entre Mattawa et Témiscamingue, a été fondé dans les années 1850 par la Société de colonisation du lac Témiscamingue, un groupe de prêtres catholiques du Québec qui promouvaient la colonisation de l’Ontario par des Canadiens français.

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En 1855, la Compagnie de chemin de fer de Témiscamingue (7) a obtenu une subvention du gouvernement fédéral pour la construction d’un chemin à lisse (8) le long de la rivière Outaouais entre Mattawa et le pied du lac Témiscamingue.

Ce projet visait à faciliter les déplacements des gens et des marchandises là où quatre rapides rendaient impossibles la navigation sur l’eau.

Grâce à ces fonds, plusieurs petites voies ferrées ont été construites le long des rapides du Long-Sault, de la Cave, des Érables et de la Montagne. Les tramways à chacun des portages étaient tirés par des chevaux ou, dans le cas du Long Sault, par une locomotive à vapeur.

Une fois arrivés au pied du lac Témiscamingue, voyageurs, travailleurs et marchandises continuaient leur route sur un vapeur jusqu’à la tête du lac, un trajet long de 126 km.

Les Érables était donc un passage obligé pour tous les colons qui, agriculteurs l’été, se rendaient l’hiver aux chantiers des environs du lac Témiscamingue.

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Il n’a pas fallu longtemps pour que cet ancien camp autochtone, le long d’une route empruntée autrefois par des explorateurs et des voyageurs, se dote d’un bureau de poste (9), de quelques maisons, d’une épicerie, de divers bâtiments et d’un dépôt.

Malgré la prospérité relative de la petite communauté, le village des Érables deviendrait la victime de l’industrie forestière alors en plein essor. Comme la demande en bois d’oeuvre ne cessait d’augmenter, le besoin d’une ligne directe entre Mattawa, terminus du Canadian Pacific Rail, et les chantiers du Nord se faisait de plus en plus sentir.

Or, les chemins à lisse étaient trop étroites pour les locomotives du réseau national. Par ailleurs, les lignes entre les portages n’étaient pas reliées entre elles parce que le reste du trajet se faisait par bateau.

Pour remédier à la situation, le CPR a acheté l’ancien chemin de fer artisanal en 1891 et a entrepris, entre 1893 et 1894, la construction d’un chemin de fer standard entre Mattawa et Kipawa, un centre très important d’activités forestières. Cette nouvelle route contournait les Érables qui n’avait dès lors plus de raison d’être.

Un demi-siècle plus tard, ce serait l’industrie hydroélectrique qui donnerait le coup de grâce au village. En 1952, le barrage Otto Holden est entré en fonction, enterrant tout ce qui restait des Érables sous les eaux de la rivière.

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Map to Les Erables
Site du village disparu des Érables.

Lemieux

Lemieux était une petite communauté près d’Ottawa qui dépendait de l’industrie forestière et de l’agriculture. Établie dans les années 1850, le village a ouvert son bureau de poste en 1875 grâce à Louis Lemieux (10).

Entre 1882 et 1890, une épicerie, une scierie, une minoterie et une usine de rabotage ont vu le jour, initiatives du maître de poste, Alfred Chesser. John Poparat était le forgeron et Paul Sauve, le menuisier.

En 1884, George Ryan a ouvert l’hôtel Temperance et quatre ans plus tard, les villageois ont construit une école, l’église catholique-romaine Saint-Joseph et un cimetière.

En 1890, Joseph Leroux prenait la direction de l’hôtel et Henry Bradley devenait le nouveau maître de poste (11). Un an plus tard, le village est devenu la paroisse Saint Joseph de Lemieux. À son apogée, la population de Lemieux comptait une centaine d’âmes.

Pourtant, au début des années 1970, la Commission géologique du Canada a fait une découverte troublante.

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En 1971, le village de Saint-Jean Vianney dans la province voisine du Québec, bâti sur un substrat rare, soit la glaise de la mer Champlain, ou la glaise Leda, que de fortes pluies rendent liquides, a souffert un glissement de terrain qui a tué 31 personnes et englouti 40 maisons.

Douze jours après le désastre, un autre glissement de terrain s’est produit dans une région déserte le long de la rivière de la Nation-Sud dans l’est de l’Ontario.

Peu après, la CGC a testé les sols le long de cette rivière et constaté que le village de Lemieux risquait de subir le même sort que celui de Saint-Jean de Vianney.

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Vue aérienne de la zone inondée.

Ce n’est qu’en 1989 que les résidents ont accepté d’abandonner leur village suite aux consultations engagées avec la Société d’aménagement de la rivière Nation-Sud, le ministère des Richesses naturelles et le canton de Plantagenet sud. Le gouvernement provincial a déboursé 2,5 millions $ pour acheter les 28 maisons de la petite communauté.

En 1991, tous les bâtiments ont été déplacés ou démolis. Ce n’était pas trop tôt. À peine deux ans plus tard, des pluies torrentielles ont creusé, juste à côté de l’ancien village, un cratère de 680 m. sur 320 m. et profond de 18 m.

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Couvrant une superficie de 17 hectares, le trou béant a fait disparaître une partie de la rue principale du village. Entre 2.8 et 3.5 millions de mètres cubes de sable, de limon et de glaise se sont déversés dans la rivière Outaouais, l’obstruant sur une longueur de 3,3 km (12) pendant plusieurs jours. Le coût total des dommages s’élevaient à 12,5 millions $.

En 1994, la Société d’aménagement de la rivière Nation-Sud a fait des efforts pour stabiliser les sols de la zone affectée en y plantant quelque 7,600 arbres. Du village de Lemieux, tout ce qui reste est le cimetière, ouvert au public, et quelques plaques commémoratives.

Appuyons nos municipalités!

Ces trois villages ne sont qu’un petit échantillon des dizaines de villes fantômes en Ontario.

Si de tels retours dans le passé vous intéressent, il y a de nombreux sites dans la province à explorer, chacun avec sa propre histoire à raconter.

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Petite mise en garde toutefois: il est déconseillé d’entrer dans une structure abandonnée. Non seulement cela peut être dangereux, mais encore un tel geste pourrait être illégal si l’on n’a pas la permission du propriétaire.

Encore mieux, après votre visite de la ville fantôme de votre choix, pourquoi ne pas revenir au 21e siècle et vous arrêter dans une ville à proximité qui ne demande qu’à vous accueillir? Encore de belles découvertes en perspective!

Notes

  1. Liste des municipalités de l’Ontario
  2. En 1947, Wilfred Philippe a acheté l’épicerie et l’a agrandie, offrant une panoplie d’articles et de services, comme le bureau de poste et le seul téléphone du village. Il l’a vendu quatre ans plus tard à une coopérative locale qui l’a gérée jusqu’aux années 1960.
  3. Georges Martin était le chef de gare en 1929.
  4. Nipissing Ouest
  5. Sous la direction de Lionel Vallières
  6. Elle a été fermée dix ans plus tard.
  7. Incorporée en 1883 et subsidiaire de la Société de colonisation du lac Témiscamingue
  8. Voie ferrée étroite et artisanale dont les rails sont en bois
  9. Ouvert en 1883 par George Wilson
  10. Le bureau de poste est resté en fonction pendant presque cent ans.
  11. Sa famille s’en est occupée pendant presque soixante ans.
  12. 1.7 km en amont et 1.6 km en aval du site

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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