Ces artistes autochtones qui voulaient changer le monde

L'autre Groupe des Sept

Daphne Odjig (1919 - 2016), Conflit du Bien et du Mal 1975, acrylique sur toile, 81,5 x 101,9 cm, achat, 1975. (Photo: Collection McMichael d’art canadien, 1975.11.3)
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Publié 22/06/2020 par Andréanne Joly

Ils étaient sept artistes autochtones qui demandaient que leur travail soit reconnu à juste titre. Et ils ont fait bouger les choses.

À l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones (21 juin), Francopresse a discuté du legs du regroupement Professional Native Indian Artists Inc., dit «Groupe autochtone des sept», avec trois conservateurs autochtones qui œuvrent dans des musées bien en vue au Canada.

Selon l’Encyclopédie canadienne, c’est plutôt le nom «Groupe indien des sept» qui a été popularisé par le journaliste Gary Scherbain dans un article paru dans le quotidien Winnipeg Free Press peu après la création du PNIAI. Nous décidons ici d’utiliser «Groupe autochtone des sept» afin de respecter la convention contemporaine.

Norval Morrisseau (1932 – 2007), Chaman et Disciples 1979, acrylique sur toile, 180,5 x 211,5 cm, achat, 1979. (Photo: Collection McMichael d’art canadien, 1979.34.7)

Un groupe artistique et politique

Leur histoire a déjà fait l’objet de nombreux articles. Au début des années 1970, à Winnipeg, Daphne Odjig exposait avec Alex Janvier et Jackson Beardy. Le groupe discutait beaucoup aussi avec l’artiste américain Joseph Sànchez.

Outre leur art, ils avaient matière à discussion. Ne se sentant jamais reconnus comme des artistes contemporains à part entière, exclus des musées et des galeries d’art, relégués à l’anthropologie ou à l’ethnographie, ils se sentaient toujours marginalisés par leurs origines et leurs frustrations sont devenues un moteur.

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Le quatuor a approché Eddy Cobiness, Carl Ray et Norval Morrisseau, dont la carrière avait déjà une portée internationale, pour fonder le regroupement Professional Native Indian Artists Inc. (PNIAI) en novembre 1972.

Alex Janvier a bien illustré les intentions du groupe: le PNIAI cherchait à «changer le monde, le monde artistique, pour les Autochtones du Canada».

«Le groupe a poussé le gouvernement, poussé les organismes subventionnaires, poussé les galeries à mieux intégrer les artistes autochtones», rapporte Wanda Nanibush, conservatrice de l’art indigène du Musée des beaux-arts de l’Ontario et Anishinaabe. «Ils ont mis le monde des arts au défi de comprendre ce qu’ils faisaient.»

Wanda Nanibush. (Photo: Courtoisie)

Une approche différente, unie et hétérogène

Pour Michelle LaVallee, directrice du Centre d’art autochtone de Relations Couronne-Autochtones Canada, pour la conservatrice Wanda Nanibush et pour Greg Hill, conservateur principal de la collection d’art indigène du Musée des beaux-arts du Canada, l’importance de la démarche de groupe du PNIAI ne fait pas l’ombre d’un doute.

Mme Nanibush oppose d’ailleurs cette approche collective à celle du monde occidental des arts, très individuelle et compétitive.

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«Ils ont puisé une plus grande force en tant que groupe», ajoute M. Hill. À ses yeux, leurs voix unies leur ont permis d’entrer dans les musées et de gagner le respect.

Michelle LaVallee. (Photo: Courtoisie)

Un nouveau Groupe des Sept?

Tel que susmentionné, le PNIAI est aussi surnommé le «Groupe autochtone des sept». Peut-on tracer des parallèles avec l’autre Groupe des Sept, actif dans les années 1910 et 1920? Il s’agit, après tout, de deux groupes d’artistes qui se rencontraient, commentaient leurs œuvres entre eux et cherchaient à redéfinir l’art canadien.

«Le surnom est superficiel et évoque la subordination», tranchent Jeremy Morgan, autrefois directeur de la galerie Mackenzie de Regina, en Saskatchewan, Michelle LaVallee et Wanda Nanibush.

«Il est difficile de voir comment on peut comparer les deux groupes», pèse Mme LaVallee, commissaire de la seule exposition rétrospective consacrée au PNIAI. Pour elle, vouloir légitimer le Groupe des années 1970 en le comparant à un canon non autochtone est un prolongement de la colonisation.

Sa collègue abonde dans le même sens. «Ça implique que l’art autochtone vient après un mouvement occidental.» Elle ajoute, sans équivoque : «Nous préférons utiliser Professional Native Indian Artists Inc.»

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Greg Hill. (Photo: MBAC, Ottawa)

L’art pour la réconciliation?

«Je pense que [le PNIAI a] donné une permission et un langage aux artistes contemporains autochtones», avance, sure d’elle, Mme Nanibush.

Leurs sujets s’ancrent dans des traditions, des histoires et des cultures visuelles anciennes, pueblo, anishinaabe ou cri, mais aussi dans les expériences personnelles des peintres et dans le monde qui les entourait.

«Le PNIAI a sensibilisé à ce qui se passait dans nos communautés, à l’histoire de la colonisation, indique Mme Nanibush. Ils ont fait comprendre que nos cultures étaient toujours vivantes, même s’il y avait des politiques d’assimilation et des politiques de génocide culturel en vigueur.»

Le conservateur Hill, d’origine mohawk, rappelle qu’au début des années 1970 (l’époque du mouvement des droits civiques et de la proposition d’éliminer, au Canada, le statut d’Indien), «[les artistes du PNIAI] faisaient leur travail, mais n’étaient ni vus ni entendus.»

Par leurs pressions, «ils sont passés de créateurs de vestiges du passé qui occupaient des musées ethnographiques à des artistes de plein droit», dit-il. Il ajoute que dans son esprit, «la réconciliation, c’est écouter et être ouvert à voir le travail d’un groupe d’artistes incroyables.»

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Les œuvres du Groupe impressionnent par leur beauté, certes, mais aussi par leur caractère actuel, renchérit Michelle LaVallee, nommant l’enjeu du racisme.

En devenant un point d’entrée pour la conversation, l’art, notamment celui du PNIAI, peut faire partie prenante de la pacification, croit-elle. «Ça nous aide à aborder des sujets difficiles, complexes, émotifs. […] Quand les gens peuvent apprendre des autres et de leurs expériences, ça aide à promouvoir l’empathie et la compréhension.»

Carl Ray (1943 – 1978), Conflit du Bien et du Mal 1975, acrylique sur papier, 56 x 75,9 cm, achat, 1975 (Photo: Collection McMichael d’art canadien, 1975.32.5)10 : Norval Morrisseau (1932 – 2007), Chaman et Disciples 1979, acrylique sur toile, 180,5 x 211,5 cm, achat, 1979. (Photo: Collection McMichael d’art canadien, 1979.34.7)

Des artistes qui gagnent encore à être connus

La conservatrice LaVallee n’y va pas par quatre chemins: l’histoire du PNIAI «doit être célébrée dans l’histoire canadienne.» À ses yeux, les membres du PNIAI sont de véritables figures emblématiques.

En ce sens, le vent semble tourner. Prenons l’exemple du Musée des beaux-arts du Canada : depuis 2006, six expositions rétrospectives ont souligné l’œuvre d’artistes autochtones.

«Leur travail est phénoménal. Et tellement beau», conclut Wanda Nanibush.

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Renouveau spirituel, 1984, Daphne Odjig, Société canadienne des postes [2011]. Reproduction autorisée. (Photo: Bibliothèque et Archives Canada)

Où voir le travail du PNIAI?

Daphne Odjig (1919 – 2016), Tribute to the Great Chiefs of the Past, 1975, acrylique sur toile, 101,8 x 81 cm, achat, 1975. (Photo: Collection McMichael d’art canadien, 1975.11.1)

Qui sont les sept artistes du PNIAI?

(Informations tirées du site du Ministère RCAAN et possiblement choisies par les artistes)

Auteur

  • Andréanne Joly

    À titre de journaliste et de rédactrice, Andréanne Joly couvre les communautés francophones de l'Ontario et du Canada depuis 25 ans. Elle collabore notamment avec Francopresse, Le Voyageur de Sudbury et L'Express de Toronto. Elle travaille principalement à des dossiers liés à l'histoire, à la culture et au tourisme.

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