Ce que murmure le Mékong

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Publié 28/10/2014 par Aurélie Resch

Le bateau en bois couleur miel glisse silencieusement sur les eaux brunes du Mékong. Bas dans le ciel, les nuages forment une voûte ardoise et la lumière qui filtre vient teinter les rives d’orangé. La croisière qui m’emmène du Cambodge au Vietnam me raconte l’histoire de peuples tourmentés, de pays en pleine croissance et des mythes et légendes qui façonnent le fleuve.

De Siem Reap à Saigon, nombreuses sont les occasions de rencontrer les gens, de s’assoir avec eux le temps d’un thé, de les observer travailler dans leur atelier ou de jouer avec les enfants au bord de l’eau.

Au Cambodge, lors des excursions sur les sites d’Angkor et dans les petits villages, mes deux guides Amyl et Sim me racontent la difficulté de s’affirmer «intellectuel» aujourd’hui.

Trop d’horreur vécue durant l’époque Khmer Rouge, un traumatisme toujours palpable en ce début du XXIe siècle font que guides, professeurs, directeurs et autres «intellectuels» vivent et travaillent sous un nouveau nom, ne possèdent pas de papiers d’identité, ne peuvent voyager. «On a encore peur. On tait notre généalogie» me dira Amyl.

Pourtant, le tourisme en plein essor fait naître des guides et des conférenciers, les hôtels poussent comme des champignons et la vie économique et sociale dans les villes comme Phnom Penh et Siem Reap est revenue.

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Histoire douloureuse

Très cultivés, curieux et passionnés par l’Histoire de leur pays comme par les cultures étrangères, ils sont nombreux dans les villes, les écoles, les bus et les bateaux à offrir de riches échanges et de beaux sujets de conversations.

Dans les fabriques de bougies, d’encens et de poteries, les femmes et les hommes travaillent vite. En silence. Peu d’outils, debout ou assis à même le sol, dans la chaleur, ils façonnent et confectionnent pour un salaire dérisoire. Et pourtant, la douceur et les sourires fleurissent sur les visages et dans les gestes. On prend le temps, on fait de l’humour parfois.

Dans la maison de cueilleurs de sucre de palme, je partage un moment de tranquillité avec une aînée et sa petite fille. Assises, nous sourions au soleil et aux enfants. Bientôt je jouerai avec ces derniers, qui, pieds nus et riant gaîment, ne demandent qu’à partager leurs jeux et à en découvrir d’autres.

À Kampong Tralach, la gentillesse et la douceur de la femme qui conduit le char à bœufs sont confondantes. Les enfants encore m’entraînent dans leurs jeux et me fabriquent bagues et étoiles avec des feuilles de palmier.

Certains jeunes chercheront à apprendre de nouveaux mots français ou à pratiquer leur anglais appris à l’école. Une école, comme j’en découvrirai à Koh Chen, qui rassemble des enfants de 6 à 14 ans.

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Dans cette école de Koh Chen, Monsieur Umson Thom, brillant enseignant de mathématiques de 80 ans partage son bonheur de revenir à l’enseignement après la vie forcée dans les champs sous le régime Khmer Rouge et sa passion pour les mathématiques. Bien sûr, il manque cruellement de matériel…

Au Vietnam, les enfants sont plus réservés, les adultes plus sérieux. Et pourtant, sourires, blagues et conseils seront échangés dans les marchés de Saigon et dans les fermes de petits villages flottants.

Du temps sera pris pour m’indiquer mon chemin, où trouver une épice ou un châle. Rires, sourires, gestes, échanges, jeux… la communication s’improvise et s’impose au fil du Mekong.

Lumière et douceur au fil de l’eau

Le MS Indochine s’étire langoureusement sur le Mékong. Élégant et racé, ce bateau en bois exotique de 24 cabines me promène sur le 4e fleuve d’Asie et 10e au monde par son débit.

Les eaux opaques et boueuses du Mékong traversent le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam s’imposant comme les alliées incontournables de l’économie, de la pisciculture et de la vie. Kampong Chnang, Kampong Tralach, Ko Chen, Chau Doc, Caï Be, autant de villages flottants producteurs de poissons d’eau douce et de riz, qui parsèment la croisière et offrent des escales surprenantes et de toute beauté.

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Loin de l’agitation des grosses villes, on vit le temps différemment, au fil de l’eau et du soleil. On étire les heures.

Maisons posées sur des bombonnes d’air ou sur pilotis et attachées entre elles, petites barques naviguant de l’une à l’autre… on oublie le stress et les contraintes du monde moderne et on s’ouvre à la philosophie d’un certain Orient.

J’aime ce fleuve pour son mystère, ses senteurs, ses boules lumineuses qui crèvent parfois la surface des eaux sombres (on dit que la boue du Mékong est à certains endroits pigmentée d’or), ses habitants toujours souriants et gracieux, la lumière qui joue de ses reflets sur la surface et les histoires qu’il véhicule.

Combien de princesses enlevées par les poissons a-t-il vu? Combien d’amours naissants et terminés (je me souviens de certains passages de L’Amant de Marguerite Duras, dont l’idylle à 15 ans naquit sur la traversée du Mékong) tait-il?

Paresseux, majestueux, il abrite de nombreuses créatures, mythiques et réelles, porte les trafiques de bateaux les plus impressionnants et nourrit quelques centaines de millions de personnes. Un des plus riches berceaux de diversité culturelle, il m’égare en pensées et contemplations.

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Les sourires des enfants et des pêcheurs m’accompagnent au gré des jours et certains soirs. Souvenirs et rêveries qui s’étirent, alors que, lentement bercée par les eaux dans le jour qui s’éteint, j’aperçois du pont avant les tours et les lumières de Saigon qui pointent l’horizon.

Renseignements

CroisiEurope organise des croisières en français du Cambodge au Vietnam et du Vietnam au Cambodge (à préférer dans ce sens peut-être pour une immersion graduelle dans le pays des douceurs et des saveurs) à bord d’un bateau au luxe simple et à taille humaine

Auteur

  • Aurélie Resch

    Chroniqueuse voyages. Écrivaine, journaliste, scénariste. Collabore à diverses revues culturelles. Réalise des documentaires pour des télévisions francophones. Anime des ateliers d’écriture dans les écoles, les salons du livre et les centres culturels.

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