Il pleuvait dru sur Cannes. Le Festival était à deux jours de sa clôture. Du matin au soir comme il se doit, les films défilaient sur les écrans. Les critiques critiquaient sans fougue ni indulgence. On avait présenté la veille The Search, du réalisateur français Michel Hazanavicius, auteur du célèbre oscarisé The Artist. Déception devant cette œuvre ambitieuse sur la guerre de Tchétchénie qui, hélas, tourne vite au mauvais mélo.
Également ce même jour, présentation unique de Adieu au Langage, dernier opus de l’une des figures emblématiques de la Nouvelle Vague, maintenant octogénaire et toujours provocateur, Jean-Luc Godard; une heure dix minutes de fragments visuels et d’aphorismes suscitant quelques débats, mais peu d’enthousiasme. Ennui profond, diront les uns; la flamme du génie brille toujours, maintiendront les inconditionnels.
La voie des maîtres
Les pronostics pour le Palmarès allaient bon train. Normal… Il ne restait plus à voir que quatre films en lice pour la Palme d’or. Il faut dire que les premiers de cette course nous avaient impressionnés: Avec Mr. Turner, Mike Leigh, reconstituant avec bonheur l’époque de Dickens, nous avait offert un remarquable portrait du maître paysagiste anglais du 19e siècle, surnommé «peintre de la lumière» aussi génial que peu aimable.
Timbuktu, du Mauritanien Abderrhamane Sissako, autre film particulièrement réussi, nous présentait, avec des images d’une immense beauté, le combat silencieux et digne des familles de Tombouctou persécutées par les fanatiques religieux.
Très attendu, mais redouté à cause de sa durée, 3 heures 16 minutes, Winter Sleep du Turc Nuri Bilge Ceylan a toutes les qualités qu’on espérait de cet auteur déjà deux fois primé au Festival. L’action se déroule dans un petit hôtel situé dans le décor quasi irréel des montagnes d’Anatolie où trois personnages s’affrontent. De huis clos en huis clos, ils se justifient et se déchirent avec une impitoyable cruauté. Bergman, Tchékov et Pirandello n’auraient pas désavoué cette œuvre si envoûtante que sa longueur s’estompe d’elle-même.